POWDER HER FACE - NOF, Nouvel Opéra Fribourg

 Deux heures et quart pour résumer près de 60 ans de la vie de Margaret Campbell, duchesse d'Argyll. Celle par qui le scandale arriva en 1963 lors de son divorce d'avec son second mari, celle dont la réputation la précédait dans tous les salons et qui faisait les gorges chaudes de toute l'Angleterre ne pouvait qu'être un sujet fascinant sur lequel se pencher. Une vie romanesque, faite de sexe, de célébrité, d'argent, d'une certaine instabilité psychique qui a conduit la femme "aux trois rangs de perles" à croire que la chambre du home dans lequel ses enfants l'avaient placée en fin de vie était en réalité une cabine de croisière transatlantique. 

copyright: Magali Dougados

POWDER HER FACE est une commande passée au compositeur britannique Thomas Adès. Il a été joué pour la première fois en 1995. C'était une première suisse à Fribourg. Incompréhensible que cet opéra n'ait pas été joué auparavant, tant c'est un joyau d'audace! Ce n'est pas le livret qui est audacieux, même s'il est délicieusement scandaleux, mais la musique d'Adès qui est extraordinaire. On y retrouve des traits à la Stravinsky - d'ailleurs n'est-ce pas la Dirty Duchess que l'on sacrifie sur l'autel des convenances et de la bien-pensance? - des sonorités de Weill, qui nous font nous questionner sur l'oeuvre globale, à la manière de ses collaborations avec Brecht. Le récit des aventures sexuelles de la Duchesse n'est-il pas un prétexte pour clouer au pilori une certaine noblesse dont les frasques extraconjugales étaient tolérées tant qu'elles demeuraient dans le secret des alcôves? Quant à la partition vocale, qu'en dire? C'est de la dentelle syncopée! Une véritable prouesse physique et tonale pour les chanteuses et les chanteurs qui, personnellement, m'a rappelé le Pierrot Lunaire d'Alban Berg

Copyright: Magali Dougados

Sophie Marilley, mezzo-soprano bien connue à Fribourg et sur les différentes scènes européennes, est brillante dans le rôle de la Duchesse. Elle lui confère la grâce malicieuse d'une femme qui assume ses désirs et l'élégance du désespoir de cette même femme stigmatisée pour son appétit sexuel, alors qu'à l'extérieur les mœurs se sont depuis 1963 bien libérées, qui finit seule dans une chambre d'hôtel dont elle n'a plus les moyens de payer la location, entourée de tous ses fantômes. Timur, ténor à la voix éclatante - à retrouver dans KLAUS FROM SPACE, mardi 1er juin au Nouveau Monde - donne le sentiment qu'il peut tout faire, tant sa voix est aussi malléable et flexible que son corps. C'est extrêmement troublant. La grande découverte de la soirée fût pour moi, Alison Scherzer, dont la voix cristalline et le jeu mutin m'ont enchantée. Last but not least, Graeme Danby, qui navigue avec brio du Duc au Juge en passant par le directeur d'hôtel. Quelle distribution!

Copyright: Magali Dougados

Le NOF, une fois de plus, a proposé une lecture originale, décalée et éclatée d'une oeuvre. La mise en scène de Julien Chavaz est remarquable et distille de jolis clins d’œil: ici un silly walk qui ne dure que 20 secondes mais qui m'a déclenché un rire instantané, là une représentation du Commandeur de Don Giovanni qui a les traits d'un directeur d'hôtel et qui signifie à ce Don Juan en jupons, que c'est la fin. C'est grandiose. La scénographie d'Anneliese Neudecker est somptueuse, épurée et ingénieuse. Un régal. Quant à la scène de la fellation, bravissimo pour cette image "fumante" qui n'est pas prête de quitter mon esprit!

Après 517 jours sans opéra - oui, j'ai compté - autant vous dire que l'ancienne chanteuse lyrique que je suis a savouré chaque seconde de ces retrouvailles et que j'ai été prise d'un puissant vertige. Mon seul regret est que seules 100 personnes ont pu, en deux soirs, découvrir cette oeuvre unique qui, une fois n'est pas coutume, casse l'idée fausse que le monde de l'opéra est austère et réservé à une certaine élite. Nul besoin de s'y connaître, ce ne sont, et ce ne seront toujours, que des histoires mises en musique. Et qui n'aime pas les histoires?

Stéphanie Tschopp


Direction musicale: Jérôme Kuhn

Mise en scène: Julien Chavaz

Scénographie: Anneliese Neudecker

Distribution:

La Duchesse: Sophie Marilley

L'électricien: Timur

La femme de chambre: Alison Scherzer

Le directeur: Graeme Danby


Orchestre de Chambre fribourgeois

Coproduction:

Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris

NOF - Nouvel Opéra Fribourg

Théâtre du Crochetan, Monthey

Stadttheater Schaffhausen


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