NOUS AVONS FAIT LA NUIT - NOF

Alors qu'en fin d'année 2020, le théâtre Equilibre devait résonner des musiques de Ravel et Poulenc, et que le merveilleux timbre de Sophie Marilley devait nous porter vers la nouvelle année que nous attendions toutes et tous, les théâtres se sont à nouveau tus. La durée? Indéterminée. La sentence pouvait presque retentir comme une mise à mort, tant l'année écoulée avait été rude pour le monde culturel. 

C'est dans un second souffle, presque comparable à celui des athlètes de haut niveau, que l'équipe du NOF a trouvé les ressources nécessaires pour réaliser ce magnifique projet. Il y a dans ce film toute la beauté de la tristesse et la douceur parfois douloureuse, de l'espoir. Ne jamais renoncer. Jamais. 

" Die Theater bleiben dicht. L'attente est interminable. Die Arbeit geht weiter. Les beaux jours reviendront"

photo: Remy Ugarte Vallejos

A la manière d'un Pagliacci qui interroge sur la nécessité de rapprocher la réalité de la fiction jusqu'à les confondre, et sur la complexité du métier d'artiste - revêtir le costume d'un.e autre, la personnalité d'un.e autre - j'ai pleuré en découvrant Sophie sur le toit du théâtre, criant, sans son et immobile. Les mains du pianiste Florent Lattuga, dans une sublime métaphore, protéger d'un parapluie sa chanteuse. J'ai frissonné lorsque le piano à queue, dans sa couverture de beau au bois dormant, plonge dans le lit de la fosse d'orchestre pour un sommeil d'une durée que nul.le ne pouvait alors déterminer.

"Nous avons fait la nuit" est la dernière mélodie d'un cycle de Francis Poulenc, "Tel jour telle nuit". Il s'agit d'un poème de Paul Eluard. Un poème qui parle d'amour. De cette facette incommunicable, cette part d'intimité que l'on refuse parfois d'exprimer, qui fait que les espaces et le temps disparaissent. Chaque mot ramène aux sens. La poésie de l'imagination consciente. 

Nous avons fait la nuit je tiens ta main je veille

Je te soutiens de toutes mes forces

Je grave sur un roc l’étoile de tes forces

Sillons profonds où la bonté de ton corps germera

Je me répète ta voix cachée ta voix publique

Je ris encore de l’orgueilleuse

Que tu traites comme une mendiante

Des fous que tu respectes des simples où tu te baignes

Et dans ma tête qui se met doucement d’accord avec la tienne avec la nuit

Je m’émerveille de l’inconnue que tu deviens

Une inconnue semblable à toi semblable à tout ce que j’aime

Qui est toujours nouveau

L'absence de l'art aimé dans le cas précis. 

C'est un court-métrage d'un petit moins de 20 minutes qui nous transporte dans un théâtre vide. Les artistes sont sur scène, debout, puis allongés, au sol. Les techniciens rangent les accessoires et fixent les machineries. Poulenc et Ravel nous accompagnent. S'enchaînent des mélodies aux titres évocateurs : "Le Paon", "Quelle aventure!", "Mon cadavre est doux comme un gant"... à se demander si ces compositeurs avaient entrevu une telle situation... Le noir-blanc choisi est pénétrant, et nous rappelle à quel point la vie, sans art(s), sans culture(s), sans musique(s), manque cruellement de couleurs. 


Pour paraphraser un poème de Maurice Carême, La Reine de Cœur peut, s'il lui plaît, vous mener en secret vers d'étranges demeures où les jeunes mortes viennent parler d'amour. Car c'est bien d'amour dont il s'agit ici. De l'amour de la rencontre entre les artistes et le public, de l'amour des lieux de représentations, de l'amour pour ce dépaysement, cette évasion, toutes ses portes ouvertes sur l'imaginaire que nous offrent ces instants précieux. Prenons la main de la Reine de Cœur et suivons-la. C'est bouleversant.

Je vous invite à prendre 20 minutes dans votre journée ou votre soirée, pour inciter la tendre sentinelle, cette lumière qui veille sur les théâtres lorsqu'ils sont vides, à nous laisser réinvestir les lieux. Laissons les fantômes flotter, et soyons, nous les vivants, les spectacteurs de cette belle et attendue renaissance.

Pour que les voix ne se taisent plus et que les théâtres retrouvent leurs fonctions essentielles: nous réunir et nous permettre de rêver, de réfléchir, et qui sait, peut-être de changer le monde. Ensemble.

Stéphanie Tschopp


Mise en scène: Béatrice Lachaussée

Interprétation: Sophie Marilley (mezzo-soprano) et Florent Lattuga (pianiste)

Toute l'actualité du NOF, Nouvel Opéra Fribourg, et notamment le Festival KLANGGG et les dates des représentations de POWDER HER FACE de Thomas Adès et PELLÉAS ET MÉLISANDE de Maurice Maeterlinck, est à découvrir ici.


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