LES VIVANTS

Voilà, un texte de plus. Ce n’est pas un journal de confinement à proprement parlé, non. C’est une bulle d’oxygène. Je fais ce qui me fait du bien, ce qui m’apaise. Et réfléchir m’apaise plus que me torture. J’écris, obstinément... comme une mouche qui se cogne à la vitre en cherchant la sortie, la petite ouverture de fenêtre... encore et encore je me cogne à ce mur invisible, à cette vitre... comme une mouche. Inspirée ou non, écrire avec obstination. Cette image, sublime, je la dois à Wajdi Mouawad. Chaque jour, il récite un texte qu’il a écrit pour parler non pas du confinement, mais de la vie, du Vivant, avec un V majuscule. C’est du baume sur l’esprit, sur le cœur, sur le corps. Ça m’évite de complètement m’avachir. J’ai toujours considéré la poésie comme un merveilleux médicament. Jean-Luc Godard, dans Alphaville, le disait justement : « Qu’est qui transforme les ténèbres en lumière? La poésie. »

Est-ce que je regrette le monde d’avant? Oui, parce que désormais, il y a un avant et un après... l’après est encore incertain et dépendra de ce que NOUS en ferons. Est-ce que je regrette le monde d’avant, donc? Non. La frénésie, la course à la performance, la tête dans le guidon, la sauvegarde des apparences en toute circonstance ... non. Il me manque le vivant, les vivants. Mes amis chers, les arts, vivants, ma famille, la nature... Je me rattache à ça: au vivant. C’est un merveilleux fil d’Ariane que je ne lâche pas... je le serre fort... l’enroule autour de mon poignet pour être sûre qu’il ne me glisse pas des doigts. Il me servira à sortir de ce labyrinthe dont personne ne connaît à ce jour la complexité.
Si je suis épargnée, je vivrai ma quatrième (re)naissance. Je vais bientôt pouvoir concurrencer les chats et leurs multiples vies. Je suis née une première fois un 24 janvier. Une seconde fois après le décès de mon amoureux en 2009, une renaissance qui s’est construite sur de nombreux mois, tant il a fallu bricoler, recoller les morceaux. Puis, le 23 juin 2014, en me réveillant vers 15h dans une chambre d’hôpital. Ma vie allait radicalement changer. Aujourd’hui, je suis une nouvelle fois dans un utérus, je flotte dans un liquide amniotique composé de lectures, de musiques, de films, d’écriture, de cuisine, de vin rouge... j’attends. J’attends la délivrance. Je ne sens pour l’instant pas l’ombre d’une contraction... je flotte. J’attends. Sereinement. Je sais que je vais renaître avec la même énergie qu’un bouchon de champagne jaillit du goulot!
Mon professeur d’italien au collège me disait toujours que je n’étais pas née à la bonne époque. Que ma sensibilité et mon authenticité faisaient hiatus avec la vie qui nous était imposée. Qu’inévitablement, j’allais souffrir. Paix à son âme. Il n’aura pas vécu cette tragédie qui nous pousse tous dans nos retranchements et qui nous impose de réviser notre façon de vivre.
J’attends sereinement cette délivrance qui indubitablement arrivera. J’aimerai encore plus fort. Je tenterai toujours d’encourager, de soutenir. L’amour ne se réclame pas. Jamais. L’amour autorise. L’amour donne. Nous ne sommes déçus que par nos attentes me disait un ami cher...
Je suis une idéaliste sans doute. J’ai hâte de retrouver les vivants... mes vivants, dans le cœur ou en chair.

Stéphanie Tschopp

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