ROOM WITH A VIEW - (LA) HORDE / Ballet national de Marseille / RONE

 Si Anthony Burgess devait réécrire ORANGE MÉCANIQUE aujourd'hui, sans doute qu'il pourrait ressembler à ROOM WITH A VIEW, à une petite exception près: cela n'aurait rien d'un roman d'anticipation, mais tiendrait plutôt d'un instantané glaçant de nos réalités.

crédit: Aude Arago

ROOM WITH A VIEW est un choc. Un vrai, profond et intense. Une claque phénoménale, de celles qui te font siffler les oreilles de longues heures, te laissent étourdi.e, un brin nauséeus.e. Je ne vais pas tourner autour du pot, je suis sortie d'Équilibre dans un état second. Tremblante, en larmes, incapable de formuler des phrases complètes, en état de sidération. Je vais essayer de vous expliquer ce que j'ai vu, vécu, et pourquoi il est indispensable de voir ROOM WITH A VIEW. Pour celles et ceux qui me lisent depuis de nombreuses années, vous savez que j'abhorre les avertissements, cependant, à moins que vous soyiez des parents experts en débriefing, ce n'est pas un spectacle "tout public". Clairement pas. C'est le seul avertissement que vous aurez de ma part. 

#roomwithaview... ce hashtag qui s'envole sur les réseaux sociaux, donne une fausse image de l'époque à laquelle nous vivons. Un hashtag fait de luxe et de vues sur des piscines à débordement, et faisant totalement abstraction du fait qu'il n'y a pas que les piscines qui débordent. Les colères retenues, les révoltes sourdes, les cris silencieux... tout cela est au bord de l'explosion. Les corps sont jeunes, vifs, explosifs. Les poings se lèvent et les doigts d'honneur se dressent. Les grenades sont dégoupillées.

crédit: Aude Arago

 Alors que certain.es s'offusquent de pubis, de seins ou de pénis mis en pleine lumière, il serait peut-être temps de réajuster le curseur sur les véritables indécences. La beauté des corps nus fait face aux monstruosités de notre époque. La société s'effondre, les valeurs disparaissent, la solidarité s'effiloche, le monde se désagrège. C'est toute une génération qui doit retrousser les manches pour tenter de réparer ce que la génération précédente a désintégré. Alors forcément, cela ne peut pas se passer dans la douceur. La colère n'est jamais sereine. Le réveil est brutal, douloureux. La prise de conscience inévitable. Comment fermer les yeux sur ce qui nous entoure? 

Corps violés, malmenés, ultraviolentés, les scènes s'enchaînent et nous tremblons. Les impuissances et les solitudes s'affichent ostensiblement, insupportablement, sur des rythmes lancinants, étourdissants. Nous prenons la place du mort, sans ceinture de sécurité, dans une voiture lancée à toute vitesse à contre-sens sur l'autoroute. Forcément on a peur. Forcément nos souffles se coupent. Forcément on a envie de descendre du véhicule. S'extraire d'une telle machine folle demande des moyens radicaux. Pas de demi-mesure. Alors on crie, on se débat, on frappe des pieds et des poings. Les corps des danseurs et danseuses portent les stigmates violacés de ces luttes dans un final résilient. 

Tout est remarquable, des compositions de RONE aux chorégraphies multiples, denses du collectif (LA) HORDE. D'une richesse affolante. L'énergie déployée par les danseurs et les danseuses est époustouflante. Il est très rare que je me retrouve à court de mots pour exprimer mes émotions, mais dans le cas précis, même si la prise de conscience est évidemment aussi intellectuelle, c'est mon corps qui s'est pris tout ça dans la chair. ROOM WITH A VIEW est exceptionnel, en gras souligné.



Stéphanie Tschopp


À voir encore à Equilibre, ce soir samedi 14 mai et demain dimanche 15 mai. Infos et réservations, ici. 


conception Rone et (LA)HORDE
musique Rone (version live sans l'artiste sur scène)
mise en scène, chorégraphie (LA)HORDE
danse Ballet National de Marseille
scénographie Julien Peissel
création lumières Eric Wurtz
costumes Salomé Pouloudenny
création coiffure Charlie Lemindu
coproduction Théâtre du Châtelet, Ballet National de Marseille, Grand Théâtre de Provence


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