RETOUR À VISEGRAD / Antoine Jaccoud- Julie Biro

 Ce n’est pas souvent que j’écris directement après le visionnement d’un film. C’est même rare. Les films, je dois souvent les digérer. Les assimiler. Très certainement cela est dû à mes goûts cinématographiques qui sortent souvent des plates-bandes.

Parfois, il existe des films qui transcendent l’écran et me touchent avec fulgurance. RETOUR À VISEGRAD est un de ces films. Je n’aime pas utiliser le mot «justesse»... il n’y a pas de juste ou de faux lorsqu’il s’agit de retranscrire des émotions ou des liens humains. Il n’y a que l’authenticité qui touche profondément. Le reste n’est que poudre aux yeux et n’a aucun intérêt. Et là, c’est bouleversant d’authenticité.
Budumir et Djamila entreprennent un voyage dans les souvenirs à bord d’une petite voiture jaune sans âge. Ils veulent retrouver et réunir les élèves de leur école qui, un matin d’avril 1992, ont été séparés par une guerre qui n’était pas la leur. Ils n’étaient que des enfants, sacrifiés sur l’autel de la folie des adultes. Une enfance qui a été brutalement interrompue au moment où des rêves commencent à naître, les amitiés se construisent, et où les premières amours voient le jour sur le chemin de l’école.
Presque 30 ans après, que reste-t-il de ce matin d’avril? Comment ont-ils grandi? Que sont-ils devenus?
Barbara, la grande Dame brune, écrivait dans une de ses chansons: « Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs... parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires... ceux de l’enfance nous déchirent... » La rencontre avec Mersiha, une des anciennes élèves, est celle qui m’a le plus touchée. Elle n’a aucun souvenir de l’école, ni de ses camarades. Son cerveau, par souci de maintenir l’instinct de survie, a brouillé les souvenirs... elle ne se souvient que de la naissance de son petit frère dans un camp. La vie qui jaillit là où tout est mortifère, comme une fleur qui transperce le bitume. Elle a peur Mersiha... peur de revoir les gens... ces enfants devenus adultes... à l’époque, ils n’étaient que des enfants... comment ont-il été éduqués? Qu’en ont fait les adultes? Elle craint ces retrouvailles.



Revenir est pour beaucoup d’entre-eux une épreuve. L’enfance qui a soudainement été réduite au silence se réveille et crie! Les retrouvailles sont joyeuses, émouvantes et empreintes d’une certaine brutalité aussi, celle de ce matin d’avril 1992. On se dit au revoir avant d’aller se coucher, en redoutant ces séparations qui ne durent pourtant que quelques heures... des heures qui permettent de rassembler les souvenirs, de mettre de l’ordre dans les traumatismes et peut-être d’espérer un avenir commun, serein, construit avec les âmes des enfances retrouvées. Ils ne seront toujours que des enfants.
Merci Antoine Jaccoud et Julie Biro pour l’humanité, la pudeur et la vérité de vos regards. Nous en avons grandement besoin.
(A voir sur rts.ch jusqu’à demain dimanche 17h, dans le cadre de Visions du Réel qui, au vu des circonstances, se déploie en ligne... suivez le lien: https://www.rts.ch/.../les.../video/retour-a-visegrad...).

Stéphanie Tschopp

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