LE MOUCHOIR

 Ce n’est un secret pour personne, quand je ne suis pas au cinéma, je passe ma vie dans les salles de spectacles. Ça a commencé quand j’avais 7 ans. Je prenais déjà des cours de piano depuis une année ou deux. J’avais de la facilité, mais je n’étais pas toujours très assidue. La musique classique prenait déjà beaucoup de place. Mon papa m’a prise sous le bras pour aller voir La Flûte Enchantée de Mozart. La petite fille que j’étais a alors vécu ses premières grandes émotions. La salle. Les gens. L’orchestre. Les chanteurs. Les costumes. Je me souviens avoir dit à mon papa: je serai chanteuse!

Ça ne m’a jamais quittée. J’ai tout fait pour. Mais voilà... c’est le genre de métier où il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Mais j’ai tenté ma chance et je n’aurai jamais aucun regret.
L’opéra donc... je demandais des réductions piano de certains opéras pour Noël... mes parents sont devenus des experts des Editions Peters. J’en souris aujourd’hui. Le nombre d’heures passées, les pieds ne touchant pas le sol, à déchiffrer des partitions d’opéra sur mon piano, à chanter tous les rôles... homme, femme, choeur... toutes les tessitures. Les voix d’enfant ont cette souplesse. J’en ai scié des côtes! Même celles des voisins...
Il y a un peu plus de 20 ans, je me rendais pour la première fois à l’Opéra Bastille. C’était un peu l’inaccessible étoile. Les places au parterre nous avaient coûté un bras à mon compagnon de l’époque et à moi. Nous allions voir Tosca de Puccini. Mozart m’a mis le pied à l’étrier, mais Puccini est devenu ma grande passion. Pas besoin de comprendre le texte, tout est dans la musique. Et Tosca.... comment vous dire?
Bref... après avoir déjà versé plusieurs hectolitres de larmes à la fin de l’acte II, lorsque Tosca poignarde Scarpia, Ecco il bacio di Tosca, le monsieur qui était assis à côté de moi m’adresse la parole. Il était surpris qu’une jeune femme pleure encore pareillement à l’opéra. Il devait avoir quelque chose comme 80 ans... je lui ai répondu, les yeux encore mouillés, et un sourire aux lèvres, qu’il n’avait encore rien vu... que le début de l’acte III allait définitivement me perdre dans un torrent de larmes. E Lucevan le Stelle... les étoiles brillaient... la quintessence de la nostalgie!
Et ça n’a pas manqué... j’ai épuisé tous mes mouchoirs... à la fin de l’opéra, le monsieur en question se retourne à nouveau vers moi et me tend un mouchoir en coton, brodé avec ses initiales, pour sauver mon nez en péril. Il n’a rien dit. Mais du haut de ses 80 ans et des poussières, m’a décroché le plus doux des sourires.
Tout ça pour vous dire que les salles de spectacles sont des lieux de rencontres, des lieux d’échanges où nous sommes tous mis à nu. Nos émotions sont à fleur de peau et nous avons souvent la chance de les partager avec des inconnus qui, le temps d’une pièce, d’un concert, d’un spectacle de danse, d’un opéra, vibrent à la même fréquence. Les respirations soufflent à l’unisson. Les cœurs battent en rythme. Les sourires se décrochent au détour d’un regard. Je ne veux pas perdre ça! Jamais!
Peut-être devrons-nous nous espacer, laisser des places libres entre nous... Ne perdons jamais ce qui fait la poésie de ces instants. Ne laissons pas les fauteuils vides creuser des fossés. Regardons-nous. Sourions-nous. Même derrière des masques, les yeux sourient. Communiquons avec nos yeux. Et continuons à rêver. Ensemble. Nous allons traverser cette période étrange et bientôt nous pourrons échanger nos mouchoirs brodés, nos émotions collées les unes aux autres...

Stéphanie Tschopp

Commentaires

Articles les plus consultés