VERTIGE

 Quel vertige... j’ai goûté à la semi-liberté. Je suis sortie de chez moi pour autre chose que les courses.

J’avais besoin d’un drap-housse pour mon lit. J’ai repoussé l’échéance. Pourtant je me réjouissais de pouvoir enfin remplacer mes draps-housses que le chat s’était fait un malin plaisir de détruire, un par un, ces deux derniers mois. M’avoir sur le pelage pendant 9 semaines n’a pas toujours dû être facile pour lui, d’autant qu’il était la cible de mes attaques de tendresse. Combien de fois ai-je lu dans ses yeux : «Fiche-moi la paix, humaine!»?
Un drap-housse donc... j’ai suivi le parcours fléché, attendu l’ascenseur. Deux tours. Parce que pas plus de deux par voyage. J’ai cédé ma place aux poussettes. Puis j’ai pris l’ascenseur. Seule. Arrivée au rayon «home». Sortir de chez moi pour rejoindre le rayon «home»... j’ai ri toute seule. Puis, un vertige... j’avais le choix entre plusieurs couleurs... 9 semaines que je n’avais pas fait de choix, pas pris de réelles décisions... bon sang! J’avais le choix. Mon cerveau dont la fonction «choix» était en pause depuis si longtemps s’est retrouvé bien confus. Pourtant, je n’ai pas tant de parures de lit que ça. Je n’ai pas mille options, à moins de vouloir transformer mon lit en œuvre d’art contemporaine... je vous assure que j’ai peiné... je me suis finalement décidée, sans grande surprise, pour une couleur connue. Dans la file d’attente pour la caisse, je me suis tout de même redemandé si j’avais fait le bon choix... flippant.
J’ai déambulé un peu dans le centre commercial... sans envies particulières. Les vitrines ne me faisaient pas de l’œil. Je n’avais pas envie de faire du shopping. Ça ne m’intéresse plus vraiment. J’ai passé les 6 dernières années à refaire ma garde-robe à chaque changement de saison. Il fallait l’adapter à mon corps qui changeait. J’y ai pris du plaisir. J’avoue. J’ai aussi rempli la moitié des boutiques ZigZag du canton tous les trois mois.
Quand tout à coup, mes yeux ont croisé les brides de ces sandales... rhooo... tellement fines. Tellement élégantes. Tellement féminines. Tellement... je rentre dans la boutique. «Nous faisons 30% sur toute la boutique» m’annonce la gentille vendeuse. Et merde! Je sens que je vais me faire avoir. Je choisis d’essayer le modèle en question, non sans m’être d’abord désinfecté les pieds... oui... les pieds... et re-merde! Elles sont belles ces sandales... et elles me vont bien. Elles me font des jambes de gazelle... et même, elles s’accordent avec mon pantalon en lin du jour... je vais céder, je le sens. Je me balade dans la boutique, pour presque espérer leur trouver un petit truc qui coince au niveau du petit orteil... ben non... rien... elles sont faites pour mes pieds. Je paie et je pars, mon carton sous le bras. Je quitte la boutique, remplie d’un étrange sentiment de plaisir coupable. J’ai cédé au superflu. À l’inutile. Au non-essentiel. Puis assez rapidement, j’ai commencé à imaginer les combinaisons possibles... les robes, les jupes, les pantalons que j’allais assortir autour de la sandale... et ça m’a fait un bien fou.
Sur le chemin du retour, le soleil brillait, les terrasses m’appelaient... je me suis arrêtée pour prendre un café, au soleil. Je me suis mise à une table. Comment on fait déjà? Ah oui... «Bonjour Madame! Un café et un verre d’eau, s’il-vous-plaît!». Je me suis sentie comme une collégienne qui attend son premier rendez-vous le cœur battant. J’allais prendre un café en terrasse, sortir le livre de mon sac, oui, j’ai toujours un livre dans mon sac, et déguster mots et caféine simultanément, au soleil. Rolalala... l’euphorie!
Je flottais. Heureuse d’avoir goûté aux plaisirs de cette nouvelle liberté balisée, encadrée, désinfectée. Je suis rentrée chez moi plus propre que j’en étais partie. La vie reprenait tant bien que mal ses petits droits futiles, ses petits bonheurs. J’ai enfin remis un billet dans mon bocal et je le relirai le 31 décembre: «Samedi 16 mars... sandales et café en terrasse ».

Stéphanie Tschopp

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