Matthieu Corpataux ou la maîtrise du don d'ubiquité
C’est entre un expresso et un cappuccino que Matthieu et moi avons papoté. Au centre de notre discussion : les mots. Plus précisément, l’acte d’écriture.
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Photo: Nicolas Brodard |
D’aussi loin qu’il s’en souvienne, Matthieu a toujours eu envie d’écrire, de raconter des histoires. Au départ, durant son collège, il écrivait des romans policiers. C’est ce qui lui plaisait le plus, et aussi la littérature dont il s’abreuvait à l’époque. Parmi les options qui se sont présentées à lui lors du choix de son travail de maturité, figurait le thème : « Écrire une nouvelle ». Etonnamment, ce ne fut pas son premier choix. Son rapport à l’écriture débuta donc par un regret. Il changea donc de thème. Il s’est tellement investi dans ce travail de maturité et a été si absorbé par le processus d’écriture qu’il a failli mettre son année scolaire en péril. Il termina avec 4 de moyenne générale, mais décrocha un 6 pour sa nouvelle, ainsi qu’un prix. C’est à partir de ce moment-là que tout s’est enchaîné.
Soucieux d’améliorer son
écriture, Matthieu a cherché à participer à des ateliers. Se former, encore et
encore. Plus que ça, construire une pensée. Il s’est alors tourné vers Olivier
Pitteloud et Jean-François Haas. L’Épître allait naître de ce
besoin d’apprendre et de s’améliorer que les retours des maisons d’éditions ne comblaient
pas. L’Épître serait un laboratoire, un tremplin, un lieu de découverte, ouvert
à toutes les plumes. Cela a démarré très vite et très fort. L’Épître semblait
répondre à un besoin. Matthieu s’est mis à développer, chez lui, puis chez les
autres, l’écriture. Une forme d’enseignement qui ressemblait fort à une
vocation. Matthieu voue une passion à l’enseignement, non comme simple
transmission, mais comme une proposition de découverte. Selon lui, les règles et les
théories ne fonctionnent pas.
Pour s’évader un peu de la
plateforme web, L’Épître se mit à rêver grand : une publication papier.
Mais il ne fallait pas la faire en amateur. De cette envie sont nées Les
Presses Littéraires de Fribourg (PLF). Véritable structure éditoriale
dédiée à la mise en valeur de la littérature, les PLF sont totalement indépendantes,
bien qu’affiliées au Domaine Français de l’université de Fribourg. L’université
ne met à disposition que des locaux et son service de courrier. Fin 2014, la
première publication papier de L’Épître voit le jour. Il ne s’agissait pas juste
de mettre le site internet dans un joli bouquin, non, il fallait répondre aux
critères d’une revue littéraire classique et exigeante. Des droits d’auteurs sont
d’ailleurs reversés aux écrivain.e.s. En recevant en 2017 la reconnaissance de
Pro Helvetia, L’Épître a pu se professionnaliser, ce qui a ouvert les portes à
différentes subventions. Les auteurs sont payés, les critiques également et le
graphisme des livres est réalisé de manière professionnelle. L’Épître est
depuis devenue une des revues majeures du champ littéraire romand, avec un
programme culturel associé (expositions, lectures, ateliers, etc…).
Absorbé par ces différents projets d’édition, Matthieu n’arrivait plus à dégager du temps pour écrire lui-même. C’est lors de son ERASMUS à Paris que Matthieu s’est plongé dans l’écriture. Arrivé sur place, il n’avait plus aucun crédit à valider. Il avait anticipé la chose… ne lui restaient que un ou deux travaux et son mémoire de Master à rédiger. Pléthore de temps libre pour notre amateur de culture. Matthieu a explosé son budget, a dépensé toutes ses économies pour profiter pleinement de l’offre culturelle de la Ville Lumière. Dix à douze activités par semaine, allant de la photo à la mode, en passant par le théâtre de performance. Toutes ces découvertes l’ont nourri. Il a écrit. Beaucoup. De retour de Paris, il a encore passé un an à retravailler son recueil de poèmes. Oui, car c’est bien dans la poésie que Matthieu s’épanouit. Pour SUCRES, paru le 11 mars 2020 aux éditions de l'Aire, il s’est attaché au motif poétique du grain. Cette petite chose lorsqu’elle est seule, mais qui peut devenir aussi vaste qu’un désert lorsqu'elle est mise bout à bout : le grain. Tout n’est qu’un jeu de perspectives. Pour Matthieu, c’est également une métaphore de la poésie : ce petit rien du tout qui vise l’universel. Pourquoi le sucre ? Parce que nous y sommes tous plus ou moins addicts, et parce que le sucre, par certains aspects peut également se révéler corrosif.
Le point de départ de ce recueil
a été l’étonnement. L’étonnement de découvrir que certains souvenirs sont
inutiles, voire complètement ridicules. Matthieu se souvient très précisément des
lacets défaits des chaussures en cuir rouge de sa maîtresse d’école primaire.
En général, la poésie laisse la place aux grandes choses : l’amour, la
mort, la guerre… Mais pourquoi ce souvenir si anodin était-il si présent ?
S’il existe de manière si forte, c’est qu’il est important. On en revient à l’inutile
qui vise l’important. La poésie peut, doit, être accessible.
Fin 2019, Matthieu se voit
remettre la présidence du Salon du Livre romand, devenu TEXTURES.
Le salon prendra ses quartiers les 1,2 et 3 octobre 2021 dans la forteresse du
Belluard, ainsi qu’à Arsen'alt. La manifestation deviendra plus artistique et
moins « commerciale ». Il y aura bien évidemment toujours le marché
du livre, mais l’offre de lectures, performances, conférences, ateliers sera
étoffée et répartie sur quasi tous les sites des institutions culturelles
fribourgeoises. Les visiteurs de TEXTURES sont invités à ne plus
être de simples consommateurs, mais à devenir lecteurs.
Vous avez souvent vu apparaître
le mot « culture » dans ce portrait… Matthieu a une passion en plus
de l’écriture : le théâtre. Il aura un éternel regret, celui de n’avoir
aucun talent dramatique. Il met sa passion au bénéfice de FRISCÈNES
pour qui il est en charge de la programmation des troupes de théâtre professionnel. Cela lui donne l’opportunité d’accueillir et de défendre des
projets qu’il apprécie, mais également de faire ses gammes, ses expériences
dans le monde merveilleux de la programmation. Matthieu poursuit un rêve :
reprendre la direction d’un théâtre. Il ne s’en cache pas. Il s’agit d’une
réelle envie, presque d’un besoin, et non d’un caprice.
C’est d’ailleurs au Théâtre des Osses que nous retrouverons Matthieu en mars 2021. Il animera un des cafés littéraires proposés par le Centre dramatique fribourgeois. Il parlera d’un sujet qu’il connaît bien, vu qu’il s’agit de son sujet de thèse : la poésie visuelle. C’est un défi que s’apprête à relever Matthieu, qui pour l’occasion sera accompagné de Julien Schmutz et Maria Augusta Balla : proposer une lecture orale d’une poésie qui se regarde.
A la fin de nos cafés, Matthieu m’a
encore glissé à l’oreille, avec une grande pudeur, mais les yeux brillants, que
depuis 2010, il était bénévole auprès de la Croix-Rouge fribourgeoise et qu’il
était aujourd’hui responsable des camps d’été de la Croix-Rouge fribourgeoise.
Que ces moments passés avec des enfants curieux et en demande de tout, étaient
merveilleux et indispensables à son équilibre. Qu’il rentrait épuisé de ces
camps, mais qu’en même temps, cela lui permettait de mettre en perspective les
soucis du quotidien, et de se concentrer sur l’essentiel.
Ce jeune homme de 27 ans est
décidément partout… et partout où il est, il l’est pleinement, avec passion et
enthousiasme.
Matthieu Corpataux en 5 dates :
2013 : L’Épître
2017-2018 : Erasmus à Paris
2017 : PLF
2019 : Le Salon du Livre
romand devenu TEXTURES
2023 : fin du doctorat…
disons 2024 pour me mettre moins de pression
Si tu étais…
Une qualité : l’acharnement
Un défaut : l’acharnement
Une fleur : un cactus
Un meuble : une table, car elle réunit les gens
Un mot : critique, pour tous ses différents sens
Un moyen de transport : une fusée
Une activité favorite : le théâtre
Stéphanie Tschopp
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