LES AMOUREUX C'EST VULGAIRE - SANDOR et PHILIPPE SOLTERMANN

 

Quand on parle d’amour, c’est soit dans un soupir, soit dans un torrent de larmes, souvent autour d’un verre vin qui a ce pouvoir de délier les langues au sens propre comme au sens figuré. Il y a rarement d’entre-deux, ou alors c’est que le ver est déjà dans la pomme. L’amour ronronnant, c’est le désir qui s’émousse. Si le désir existe sans amour, l’amour ne saurait exister sans désir. Le corps de l’autre comme fontaine à laquelle on s’abreuve. Ces mots crus que l’on se susurre délicatement à l’oreille pour alimenter l’envie, attiser l’excitation. On tente les jolies métaphores, quelques instants, pour ne pas effrayer l’autre de ce trop-plein de désir, puis notre nature animale reprend le dessus. La maladresse des débuts laisse place à l’expertise d’une sexualité exacerbée. Tout est prétexte pour se toucher, se caresser, s’embrasser. Le corps de l’autre devient aussi addictif que la plus puissante des blanches de Colombie. Le poison est distillé, en intraveineuse. La dépendance s’installe. Il n’y a pas de contre-poison. Alors on plonge, dans un état d’inconscience bienheureuse, dans les profondeurs des sensations fortes. On baise à même le sol, avec force, puissance, ivresse. C’est si beau, vu qu’on s’aime si tendrement.

photo: Kristina Yakloveva

Puis un matin, l’état brumeux se dissipe comme le brouillard en automne. Il laisse place à la grisaille d’un jour de novembre. Adieu les arcs-en-ciel en pleine nuit. On fait une pause. C’est trop. Trop fort. Trop intense. On ne peut plus continuer comme ça. La pause, le début de la fin. Chacun retourne à sa solitude, sans avouer sa douleur. A partir d’un certain âge, on n’a plus vraiment le droit de souffrir d’amour. On n’ose plus vraiment dire qu'on a mal à en crever. On doit faire le deuil d’une personne, d’un corps, que l’on sera amené à revoir. Faire le deuil d’un être vivant. Quelle complexité ! A la pudeur de ce que l’on ressent, se mêle la colère et la blessure d’orgueil qu’on aime peu confesser. On se dit des horreurs, se suppliant de revenir, en terminant avec un « s’il-te-plaît », comme une prière dirigée vers ce dieu ou cette déesse qui a subitement disparu de notre Panthéon. Le chagrin d’amour est une douleur très spécifique, à laquelle on ne s’habitue pas, alors on se fait la promesse de ne plus tomber amoureux, de ne plus être dépendant affectivement de quelqu’un. Et si c’était dans cette intime conviction que se prépare la faille qui permet le nouveau coup de foudre ? Question ouverte.

SANDOR et Philippe Soltermann, quelle rencontre ! La force de ce duo réside dans leur authenticité bouleversante. Aux mélodies enivrantes et chaudes de l’une se mélangent les mots sincères et crus de l’autre. En résulte une radiographie sans concession de l’état amoureux qui rend un peu con et du chagrin d’amour qui rend tout aussi con, la douleur en plus. Que n’a-t-on pas dit ou fait par amour ? Le très bon, comme le très mauvais. Quand on est submergé par les émotions, on perd toute rationalité et on aligne les faux-pas. On crie son amour et l’autre se distancie encore plus. C’est effrayant l’amour. On souffre comme des veaux, mais on y va quand même la plupart du temps. C’est un besoin viscéral qui dépasse le simple besoin d’intimité. Le grand paradoxe qui met en relation l’instinct de survie et les idées suicidaires. Alors on y va, tout en sachant que les histoires d’amour finissent mal, en général.

Sur une petite heure, c’est une histoire universelle qui nous est contée. Sans fioritures. Une mise en scène qui évolue avec le couple. De la simplicité des débuts à la complexité de la rupture. Les lumières changent, les vêtements également. Un peu comme chez Boris Vian, lorsque le drame s’invite dans le couple, la perception de l’environnement se modifie. Si chez Vian les murs rétrécissent et les tapis s’abîment, dans Les Amoureux c’est vulgaire, le perfecto en cuir laisse place au chandail. Un chandail qui même s’il représente un certain réconfort, signifie aussi qu’on s’enferme sur soi-même, chez soi, dans ce cocon qui nous permet de ne plus nous frotter à la vie et aux potentialités qu’elle peut proposer. On ne court pas de risque en chandail. Cependant, c’est dans cette phase « sans risques » que les plus grands cauchemars prennent vie. Ce serait si simple si l’un des deux disparaissait définitivement... cela signifierait la fin de la souffrance, le début d’un deuil « normal ».

Quant à la musique, elle est indissociable des histoires d'amour. Ces premières chansons que l’on se fait découvrir, sur lesquelles on danse dans le salon, sur lesquelles on fait l’amour et sur lesquelles on se repose de l’orgasme, sont bien souvent les mêmes que l’on se repasse en boucle au moment de la rupture pour se rouler dans notre chagrin, pour provoquer des inondations de larmes dévastatrices. Avouons-le, chacun de nous possède sa playlist spéciale rupture… non ?  

Comme les théâtres sont actuellement encore fermés, sans réelle perspective d’ouverture pour le moment, SANDOR et Philippe Soltermann nous permettent de prolonger le plaisir de ce moment unique. Un premier single, « Pour se plaire » est sorti le 5 février. Il est disponible sur toutes les plateformes traditionnelles de streaming. Un second va sortir, avant que la pièce soit complètement enregistrée sur vinyle. La perspective de cet objet a donné un coup de pouce de motivation aux deux protagonistes qui baignaient dans plusieurs incertitudes : Pourra-t-on jouer en public ? Pourra-t-on même répéter ? Qu’adviendra-t-il de ce travail ?



Gardons les yeux et les oreilles ouverts, restons attentifs… Quand tout cela se débloquera, je ne peux que vous conseiller d’aller vous frotter à ces deux voix qui se glissent sous la peau… frissons garantis.


Stéphanie Tschopp

 

Texte, jeu et co-mise en scène : Philippe Soltermann

Co-mise en scène : Lorenzo Malaguerra

Création musicale et jeu : SANDOR

Costumes : GARNISON

Enregistrement, arrangements et mixage : FLEXFAB

Lumière : Pascal Ravel

Production : Théâtre Benno Besson, Théâtre du Crochetan, Les productions de la misère



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