LES MISÉRABLES - Cie UTOPIA

Je n'ai jamais lu Les Misérables en entier. J'ai sauté des passages, lu certains en diagonal. C'est par cet aveu que je me dois de commencer ce billet. Je n'ai jamais lu Les Misérables en entier, mais j'en connais l'histoire. C'est un peu comme ces contes dont la morale, ou la leçon de vie, nous habite sans les avoir lus. Les Misérables se transmettent d'une certaine manière de bouche à oreille, avec eux les valeurs humaines essentielles qu'ils véhiculent. D'adaptations en adaptations, de films en films, de comédies musicales en comédies musicales, chaque génération a eu droit à SES Misérables. 

© Cedric Vincensini

Adapter ce roman titanesque est un travail de fou auquel s'est attaqué Eric Devanthéry. Quand on sait que Hugo avait à coeur que son oeuvre soit accessible à tout un chacun, du peuple aux nantis, voir cette adaptation était pour moi une envie irrépressible, un quasi besoin. J'en ai été privée à deux reprises, suite aux annulations dûes à la crise sanitaire. Deux crève-coeur. Le streaming auquel j'ai assisté aujourd'hui, confortablement installée sur mon canapé, a en partie comblé ce manque. J'y reviendrai plus loin. 

Si on peut parfois reprocher à Victor Hugo le trait un peu chargé avec lequel il décrit les personnages, on salue ici la finesse de la construction des personnages. Ils sont dépourvus de tout artifice, jusqu'aux costumes. Chaque personnage est représenté par une seule pièce de vêtement. D'un manteau, d'un tricorne ou d'une gavroche et d'un gilet, on sait immédiatement qui prend la parole. 

Le vestiaire flottant est sublime. Les cordages auxquels sont attachés les vêtements sont des pièces maîtresses du décor, figurant ici une église, là des barricades, suggérant même des potences si l'on considère le noeud qui termine chaque corde, et reliant Jean Valjean en permanence à son passé de galérien. Passé dont il retiendra deux choses: la stigmatisation dont il fait désormais l'objet et l'apprentissage de la lecture. C'est une toute petite phrase glissée comme si de rien, mais qui en dit long et sur Valjean et sur Hugo. Hugo pour qui il fallait multiplier les écoles, les bibliothèques, les musées, les théâtres, les endroits où l'on médite, se recueille et s'instruit. Ces endroits où l'on apprend et où l'on devient meilleur. Cela ne vous rappelle rien? 

© Cedric Vincensini

Et oui, on ne peut pas dépolitiser Victor Hugo et on ne peut encore moins le considérer comme has been bien que certains le trouvent un peu pompeux, presque ennuyeux... le fait est que dans la situation que nous vivons aujourd'hui, nous ne pouvons qu'adhérer aux idées de Hugo, du moins à ses réflexions, notamment sur la misère sociale et morale, le bon et le mal, l'amour. J'ai pour ma part envie de laisser Dieu là où il est... mais le reste me questionne en permanence. Nous vivons une période où nous avons grand besoin d'humanité et de fraternité.

Ces questions m'ont taraudée tout le long de la pièce. Elle est ainsi contruite que l'on n'a pas l'opportunité de se laisser envahir par la catharsis, donc de se laisser submerger par nos émotions par une trop grande identification aux personnages. Et c'est sublime! Alors que tout n'est qu'amour, révolution, pardon, abnégation, que des sentiments très romantiques et passionnés, nous sommes à chaque fois ramenés à terre par une rupture de la narration. Comme chez Brecht. La trame est interrompue par des chants - ici des chansons contemporaines que l'on reprend en choeur sur son canapé, si, si - et qui automatiquement stoppent la montée d'émotion. Le cerveau s'enclenche... la réflexion est intense. Les parallèles avec la société dans laquelle nous vivons, implacables. C'est glaçant. Jusqu'à la dernière scène, où personnellement, j'ai fondu en larmes. Il serait tellement triste que le temps soit réellement assassin et qu'il emporte avec lui le rire des enfants, aussi celui qui sommeille au fond de chacun d'entre nous. 

© Cedric Vincensini

Pour finir, c'est un véritable tour de force que réalisent les comédiennes et comédiens, qui, à six , interprètent une quinzaine de rôles. Toutes et tous sont si justes. Si vrais. Denués de toute afféterie. C'est tellement beau. Cela fait tellement de bien. 

Quant au streaming, payant cette fois, ce que je salue, s'il a la merveilleuse faculté de conserver le lien, d'assouvir les envies de découvertes, les curiosités, les challenges intellectuels, il a un énorme défaut, celui de ne pas provoquer la rencontre et de nous priver également du charme que représente le moment d'être dans une salle et de la renifler. Vous avez déjà remarqué? Chaque salle possède son odeur personnelle, probablement parce que chaque salle est follement vivante. Si la situation devait réellement perdurer, je propose, qu'à la façon d'un Jean-Baptiste Grenouille, les meurtres en moins, nous nous attellions à collecter les odeurs des salles pour les conserver dans des petites fioles, à ouvrir lors de chaque streaming à venir. 


Stéphanie Tschopp


Streaming en direct du Théâtre Benno Besson à Yverdon-les-Bains

Mise en scène et adaptation: Eric Devanthéry

Avec: Pierre Dubey, Rachel Gordy, Léonie Keller, Michel Lavoie, David Marchetto, José Ponce et Pierre Spuhler
Lumière: Philippe Maeder
Scénographie: Francis Rivolta
Costumes: Valentine Savary
Maquillage et perruques: Katrine Zingg
Coach vocal: Marc-André Müller
Coproduction: Théâtre Pitoëff, Genève – Cie Utopia

 






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