LA LOCANDIERA, QUASI COMME - Brigitte Rosset, Christian Scheidt

Mirandolina, Mirandolina, Mirandolina... ce prénom, répété en boucle avec un délicieux accent italien, ne peut qu'hypnotiser! Bienvenue donc dans l'auberge de Mirandoline! On oublie le "a" et l'accent italien, même si, au début de la pièce, on tente de nous convaincre "qu'on pourrait la faire en italien" et avoir dévoré le lexique du parfait voyageur à coup de spaghetti alle vongole, de penne all'amatriciana ou autres gelati dégustées à la spiaggia. Le tableau est posé: l'absurde s'invite dans cette comédie sociale pour souligner de manière loufoque sa troublante adéquation avec l'époque à laquelle nous vivons. 

Fidèle à l'esprit de Goldoni, pas de masques, pas de travestissements. Les personnages sont réels, ancrés dans leur quotidien, juste évoqués par quelques bouts de tissus, une démarche, un accent ou encore quelques onomatopées. 

Copyright: Laura Gilli

Deux comédiens pour huit personnages - un véritable tour de force! - et un argument qui tient en trois phrases. Une belle aubergiste fait tourner la tête de tous les clients qui fréquentent son établissement, sans céder à aucune avance. Habituée à être courtisée, et surprise de ne pas toucher un chevalier profondément misogyne, elle se met en tête de le séduire. Aucun des deux ne sortira totalement indemne de ce petit jeu. 

Si tous les personnages sont délicieusement moqués sur leurs traits de caractères - radinerie, misogynie, ostentation - seule Mirandoline ne fait pas les frais de la plume incisive de Goldoni. On sourit de sa ruse et de sa malice, mais on ne rit jamais à ses dépens. A croire de Goldoni devait secrètement être amoureux de son aubergiste pour ne lui prêter aucun défaut et l'émanciper avant l'heure. Ne pas perdre de vue que nous sommes au milieu du XVIIIe siècle, que Mirandoline est une femme propriétaire d'auberge, célibataire, avec un toit et un revenu, qui plus est qui fera le choix qui lui semble le plus juste pour conserver sa liberté. Je vous mets au défi de trouver d'autres personnages féminins de cet acabit à cette époque! 

Copyright: Laura Gilli

Prenant le public régulièrement à témoin, analysant leur jeu respectif, s'extirpant joyeusement du texte de Goldoni pour livrer un regard doucement ironique sur leur métier, sur la façon, parfois, dont il faut monter des pièces avec trois bouts de ficelles, commentant les exploits de l'une et les failles de l'autre, Brigitte Rosset et Christian Scheidt livrent leur version de La Locandiera à la manière de deux danseurs de ballet dont chaque pas de danse paraît si facile, alors qu'il demande des semaines, des mois de travail. Le regard de Robert Sandoz, sa mise en scène au cordeau et joyeusement loufoque, l'esprit farfelu de Christian Scheidt - je vous garantis que l'image du chevalier de Ripafratta ne vous quittera pas de sitôt - et la tendre malice de Brigitte Rosset, aussi pétillante qu'une bulle de champagne, font de cette adaptation un moment de drôlerie et de légèreté exquis. La légèreté ne serait que superficialité sans profondeur, et que celui ou celle qui n'aura pas eu, à un moment ou à un autre de la soirée, le cœur serré de tendresse, lève la main. Je gage que toutes les mains resteront sagement baissées. 

Stéphanie Tschopp


A voir encore à Nuithonie, les 1er, 2 et 3 juillet à 20h et le 4 juillet à 19h. Réservations, ici


Texte: Carlo Goldoni
Adaptation, interprétation: Brigitte Rosset, Christian Scheidt
Mise en scène: Robert Sandoz
Création lumière: Thierry Van Osselt

 

Production: Cie Amaryllis 17

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