MOLTEN - Beaver Dam Company - Edouard Hue

Et si tout était à découvrir, expérimenter, appréhender? Si nous étions toutes et tous des toiles vierges? N'avez-vous jamais songé aux sensations, aux émotions qui seraient les nôtres si nous n'en connaissions aucune? Fondre, se liquéfier, se cristalliser, se fissurer, exploser, imploser, frémir... C'est ce voyage vers nos états primaux qui nous était proposé ce soir à Nuithonie

copyright: Grégory Batardon

Le corps, ce bien précieux de première nécessité, dont nous avons été privé.es de longs mois, nous a explosé au cœur ce soir. Le corps dans toute sa complexité, dans toute sa magie, dans sa majestueuse puissance et son infinie fragilité. Capable du plus doux comme du plus rude. Tendre et rugueux. Calme et nerveux. Ondulant et mécanique. Edouard Hue se transforme en sculpteur sur chairs et façonne avec tous ces antagonismes un corps vivant, capable à lui tout seul d'être un vecteur phénoménal d'émotions. En décomposant les corps de ses danseuses et danseurs, il nous donne une lecture de l'humanité dans ce qu'elle a de plus authentique. Rien ne l'a jusque-là altérée. C'est comme si cette humanité qui nous est proposée était née in vitro dans un laboratoire. A partir de là, tout lui est possible. Chaque infime particule qui entre en contact avec elle la construit.

Cette humanité est curieuse. Elle cherche à comprendre ce qu'elle fait là, à quoi elle sert, quelles sont ses limites, si tant est qu'elle en ait. Alors, elle se désagrège, se réduit à l'infiniment petit. C'est de là qu'elle tire toute son essence. Atomisée, elle peut partir à la découverte et se mélanger chimiquement à l'autre. Elle devient fébrile, impatiente parfois. Elle cherche le contact, le choc. Elle se frotte à ce qu'elle ne connaît pas. Parfois, elle a peur. Elle se braque, craque, frappe, s'écroule. Parfois, elle danse et telle une vague, impose un rythme lent ou rapide, doux ou violent. Elle se retourne même brutalement sur elle-même, comme le ressac. Puis elle se fige, observe et contemple. Elle nous prend à témoin. 

copyright: Grégory Batardon

Les danseuses et les danseurs se jettent à corps perdus dans cette quête d'humanité originelle, comme s'ils plongeaient d'une falaise dans une seule et grande expiration, accompagné.es par la musique organique de Jonathan Soucasse. J'ai plusieurs fois eu les larmes aux yeux, la respiration saccadée par un trop-plein de sensations, des frissons et les poils qui se sont dressés. Il y a quelque chose de profondément bouleversant à être confrontée au vrai, au réel, au non trafiqué. Nous avons perdu cette incroyable faculté qu'est la confiance dans l'inconnu et peinons à nous montrer nu.es, sans artifices. 


Edouard Hue nous a offert non seulement une lecture pure de la naissance de l'humanité, mais nous a donné les clés pour construire un univers où tout est à créer. Nous ne devons avoir peur de rien, ni de nous consumer, ni de fondre, ni de nous cristalliser. Nous sommes la somme de tous ces états, et c'est parce que nous possédons cette forme unique d'instabilité que nous pouvons grandir, évoluer et expérimenter le transport hors de soi et accéder au monde sensible. C'est de cette façon que nos fragilités deviennent nos plus grandes forces et que nous pouvons vivre des émotions en nous impliquant physiquement, instinctivement, avec une certaine forme de naïveté aussi, dans la Vie. Aimer, rire, pleurer, jouir, tout nous est accessible, à partir du moment où nous acceptons que nous ne sommes que l'infiniment petit, l'atome. 

Stéphanie Tschopp


Chorégraphie Edouard Hue
Danseuses-danseurs Louise Bille, Alfredo Gottardi, Edouard Hue, Neal Maxwell, Rafaël Sauzet, Yurié Tsugawa
Composition Jonathan Soucasse
Création lumière Théo Jourdainne

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