UNE ROSE ET UN BALAI - MICHEL SIMONET

Trente ans. Cela fait trente ans que Michel Simonet balaie les rues de la ville de Fribourg. Sa particularité? Il arbore une rose sur le coin de son char. Un peu de beauté au-dessus des immondices qui s'accumulent au fur et à mesure qu'il parcourt les rues. Combinaison orange fluo et lunettes à soleil assorties, Michel Simonet arpente les trottoirs et les ruelles l'esprit libre et le sourire aux lèvres. Il est un peu, à son insu, une des mémoires vivantes de la ville, témoin de son évolution, ami silencieux et discret de tous nos états d'âmes. Nos déchets racontent beaucoup de qui nous sommes. Que jetons-nous aux ordures? Quand? Comment? Pourquoi? Michel répertorie tout et chaque 1er de l'an, il récite l'intégralité de son butin. Souvent, je me dis que son rôle est bien plus important que "juste" balayer, nettoyer, racler, trier. Il renseigne, éduque aussi parfois, rigole, dirige les touristes. Il veille aussi un peu sur nos rêves, lorsqu'à 4h30 son réveil sonne et qu'à 5 heures il empoigne son balai. Il nous autorise chaque matin à nous lever dans une ville propre, comme neuve, une ville blanche sur laquelle nous pouvons écrire nos espoirs et nos envies. Michel nous autorise chaque jour à réécrire notre présent. 

Copyright: Julien James Auzan

Il se décrit comme un ambitieux à l'envers. Il est descendu dans la rue, vers l'extérieur, l'air libre, la liberté. Un travail utile qui ne cadre pas vraiment avec la vision traditionnelle de la réussite où le statut social est tellement nécessaire à l'équilibre existentiel. 

"A proprement parler, le balayeur n'emmerde personne, au contraire, il la ramasse."

Il côtoie toutes les classes sociales: les prostituées, les clochards, les employé.es de bureau, les notables, fête même des naissances de bonne heure le matin avec un jeune papa qui a vu naître son premier enfant dans la nuit. Une coupe de mousseux sur le trottoir, ça lui est arrivé une fois. Homme lettré, qui aime la poésie, il ramène les bouteilles consignées et s'offre, chaque mois, un livre de la prestigieuse collection de La Pléiade. "Balayeur et fier de lettres". Preuve que l'on peut se recycler dans la littérature.

Dans cette sublime adaptation mise en scène par Nicolas Rossier et Geneviève Pasquier, nous prenons le temps d'apprécier, voire de découvrir pour certain.es, la poésie du quotidien. Yves Jenny et Alexandre Cellier donnent corps à cet inventaire à la Prévert. Ils deviennent jongleurs de sacs poubelles. Les déchets chantent, les roses sifflent, les arrosoirs et les bidons résonnent. Qui aurait pu croire que les détritus ont tant de choses à raconter, tant d'histoires à chanter, tant de destins à mettre en lumière? La place du cantonnier dans notre société. Trop facilement jugé ou injustement passé à tabac avec chacun de nos mégots que nous jetons par terre et non dans une poubelle, le balayeur de rue est pourtant un élément essentiel à notre bien-être. C'est une véritable philosophie de rue qui nous est transmise et qui nous  apprend à ralentir. Apprendre à prendre notre temps pour ne pas le perdre. Nous nous essoufflons bien trop souvent et le cantonnier nous distille, avec son métier répétitif, sa danse du balai, circulaire et infinie, une certaine sagesse de la sérénité. 

Copyright: Julien James Auzan

Doux mélange de complexité et de simplicité, d'érudition et de quotidien, d'humour, de profondeur, de légèreté et de gravité, les jumeaux balayeurs nous prennent par la main, nous guident aux différentes heures du jour et de la nuit, à travers les différentes saisons, et nous font redécouvrir la magie d'une ville dans laquelle nous déambulons bien trop souvent le nez en l'air, oubliant qu'une société ne se définit pas par son architecture, mais par les indices qu'elle sème au sol. Un mégot, un emballage de McDo, une canette de bière, un préservatif. Bouffe sur le pouce et amours rapides. Peut-être devons-nous ajuster nos regards à la bonne hauteur et nos cœurs à la bonne vitesse?


Il y a eu des petits livres colorés qui ont émaillé l'Histoire avec un grand H, certains sublimes, d'autres tragiques, gageons que le petit livre orange, avec toute la poésie qu'il contient, nous guidera comme un phare dans la nuit afin de prendre le temps de nous arrêter la prochaine fois que nous croiserons un homme au balai, avec ou sans rose, et d'ajouter à nos traditionnels "Bonjour" et autres sourires, un mot de plus: Merci.

Stéphanie Tschopp

Il reste quelques places pour la représentation du dimanche 6 juin à 17h, aux Théâtre des Osses à Givisiez. Réservations, ici.


Auteur : Michel Simonet, Editions Faim de Siècle

Mise en scène : Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier

Avec : Alexandre Cellier et Yves Jenny

  • Adaptation : Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier
  • Scénographie : Fanny Courvoisier
  • Lumière : Eloi Gianini
  • Création musicale : Alexandre Cellier


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