I'M A LONER - Mélanie Gobet

Si, il y a encore 24 heures, on m'avait dit que j'allais écrire sur le potentiel érotique du ballon de baudruche, j'aurais ri. Joyeusement, de bon cœur, presque un peu l'air moqueur. Là, je suis devant mon écran, et j'ai comme des papillons dans le ventre. Le ballon, cet iridescent objet du désir. 

Copyright: Yuri Pires Tavares

Mélanie Gobet explore un univers qui m'était totalement inconnu jusqu'à ce soir: celui des looners. Des fétichistes du ballon. Leur texture, leur odeur, le gonflage, jusqu'à l'explosion. Les ballons peuvent provoquer une excitation sexuelle. N'y voyez rien de déviant, mais tentez de visualiser, de ressentir,  la sensualité de l'heure qui vient de s'écouler. 

Mélanie Gobet a tout compris. Elle nous plonge tout d'abord presque 20 minutes dans le noir. Le noir complet qui permet à nos sens de se mettre en alerte. Privées de repères, nos oreilles s'ouvrent, nos peaux se dotent de capteurs dont on ignorait jusqu'alors l'existence. Nos narines arrivent même à détecter cette odeur si particulière du ballon en latex. Le seul crissement, vous savez, celui qui est généré lorsque l'on passe nos doigts sur les ballons gonflés, procure des frissons. Les ballons sont soufflés en rythme régulier. A chaque expiration on craint l'explosion. Cette petite peur qui nous saisit au ventre. Une forme d'excitation aussi. Un peu comme ce moment où on sent l'orgasme approcher, mais on tente tout de même de repousser l'échéance, car on sait qu'une fois le sommet atteint, la lente rechute est inévitable. Cette tension est maintenue de longues minutes. Une légère pointe de sadisme qui ne fait qu'augmenter l'excitation et l'envie d'atteindre ce moment d'apothéose. 

En immersion totale, entouré.es de ballons au sol, nous sommes isolé.es sur nos petits tabourets, trois danseuses sur des trampolines en suspension nous enveloppent. Moi qui suis très cinéphile, je me suis totalement projetée dans un film de  Kubrick. Kubrick qui avait ce don particulier de faire suinter la sensualité de tout et n'importe quoi, parfois de façon très évidente, presque primaire, et parfois avec un raffinement subtil. Ce soir, c'était indéniablement le raffinement et la contemplation. Les mouvements sont lents et répétitifs. Même si la volonté de Mélanie Gobet n'est pas d'en faire un moment sexualisé, on ne peut pas s'en défaire. Attention, il s'agit là d'un grand compliment. A aucun moment on ne verse dans la moquerie, dans le vulgaire ou encore le grossier. Oui, grossier et vulgaire ce n'est pas la même chose. Tout est délicatesse. Un peu comme ces préliminaires que l'on souhaite onctueux. Ces caresses,  interminables. Ces baisers, tendres et langoureux, profonds et intenses. Les trois danseuses dans leurs cocons suspendus nous font vriller l'esprit. On part... loin. Très loin. Ne rallumez pas la lumière. Non! 

Copyright: Yuri Pires Tavares

Tout est dans les détails. Les sons d'abord. Amplifiés, ils semblent si proches. Les couleurs des ballons ensuite, rappellent les fêtes d'anniversaire de nos enfances. Les costumes, crées à partir de filets de protection de trampolines, nous ramènent également vers l'enfance, avec une petite note de fétichisme. Clin d'œil ludique et malicieux. Tout ramène à l'enfance. Ces moments où nous découvrons que certaines caresses ne provoquent pas que de l'apaisement, que certains tissus frottent en nous chatouillant et en éveillant des sensations agréables après lesquelles nous n'aurons de cesse de courir. Tout nous ramène au balbutiement du désir, à sa construction, à son développement constant. Le désir n'a de cesse d'évoluer, de se métamorphoser, de s'adapter à l'environnement qui nous entoure, à nos corps qui changent. Finalement, si on souhaite dérouler la pelote un petit peu plus loin, nous sommes toutes et tous des ballons. Nous avons besoin qu'on nous insuffle la vie, qu'on nous (re)donne forme, pour pouvoir occuper l'espace, prendre notre place et littéralement exploser!

C'est unique et troublant. Mélanie, you shot me down... bang bang! 



Stéphanie Tschopp


A voir encore à Nuithonie les 2 et 3 juillet à 20h et le 4 juillet à 19h. Réservations, ici.


Concept, texte et chorégraphie en collaboration avec l'équipe:  Mélanie Gobet
Performance: Jade Albasini, Sarah Bucher, Eléonore Heiniger
Création sonore et régie: Frank Bongni
Création lumière et régieMario Torchio
Voix off: Mélina Martin
Dramaturgie: Jean-Daniel Piguet
Scénographie: Antonie Oberson
Couture décors: Sandra Baudois
Assistanat couture décors: Julia Yerly
Costumes: Marie Romanens

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