LE MIROIR - Plume Ducret

Il m'arrive parfois d'avoir envie d'échanger avec des artistes avant même de les connaître, avant même d'avoir vu leurs performances. C'était le cas avec Plume Ducret. Son projet LE MIROIR m'a interpellée d'entrée. Une petite voix intérieure m'a dit: "Contacte-la!". Il faut toujours écouter sa petite voix intérieure. 

Elle a 20 ans, et elle sait ce qu'elle se veut. Idéaliste, libre, en réflexion permanente sur le monde qui l'entoure, sur l'imaginaire que véhicule le corps féminin, Plume prend la parole. Ou plutôt, son corps prend la parole. Dans le cadre de son bachelor auprès de la HEAD à Genève, Plume a travaillé avec Alexandra Bachzetsis, une chorégraphe zürichoise qui lui a ouvert de nouvelles perspectives sur le corps, le mouvement, la danse. Plume n'a jamais fait de danse, n'avait pas particulièrement l'impression d'être une bonne danseuse, mais cette rencontre lui a permis de découvrir le mouvement. Il n'y avait pas besoin d'avoir une technique particulière, il suffisait juste d'utiliser son corps, librement. Cela a été une découverte magique pour Plume et lui a donné l'envie de continuer à explorer ce moyen d'expression. 

copyright: Ivana Canal-Vidovic


Le harcèlement sexuel, la sexualisation du corps féminin, les mouvements, gestes, qu'une femme peut faire ou non, sont des sujets qui préoccupent Plume depuis de nombreuses années. Il y avait là matière à creuser. Comment? Sous quelle forme? Via quel médium? Elle allait incarner elle-même ce questionnement. Mais comment se questionner sans se perdre? Comment troubler les attentes de la société dans laquelle nous vivons? Comment modifier la trajectoire des pensées que les autres projettent sur nous? 

C'est un travail de création qui a bougé sans cesse, pour finalement arriver à un dépouillement ultime. Même si la musique a servi à installer une rythmique au mouvement dans la phase d'élaboration, elle disparaît au final. Ce travail en amont lui a permis d'appréhender le silence sereinement. Il n'y a aucun son qui émane d'un haut-parleur. Tous les sons que l'on entend sont justifiés par le mouvement, par l'acte. Ils sont vrais, tout comme les émotions que souhaite nous transmettre Plume. Cela fait envie, pas vrai? Vous comprenez ma curiosité et mon envie d'en savoir plus?

LE MIROIR part d'une interrogation qui la suit depuis son adolescence. Alors que certains hommes de son entourage peuvent s'exhiber torse nu, pourquoi elle, elle ne le peut pas? Pourquoi cela "ne se fait pas"? Pourquoi ne peut-elle pas exposer librement sa poitrine sans susciter des regards sexualisés? Pourquoi ne peut-elle pas se positionner debout, ou assise, jambes écartées? Pourquoi certains mouvements, gestes, lui sont interdits? Bien qu'elle se questionne principalement sur le corps féminin, elle n'exclut pas une réflexion sur les projections que l'on fait sur le corps masculin, à qui on demande d'être fort, dominant, viril. Elle relève toutefois que l'hypersexualisation peut se vivre également en tant qu'homme, mais d'une manière différente. La sexualisation n'est pas la même et ce n'est pas le même rôle qui est assigné, que l'on soit un homme ou une femme.

Quand on la questionne sur son rapport à la nudité, elle dit n'avoir jamais considéré son corps comme quelque chose d'important, ni même d'avoir eu des complexes. Elle rentre dans les normes, comme elle dit: grande, fine, blanche. Elle n'a cependant pas supporté le regard qu'on a pu poser sur son corps à certaines occasions et cette hypersexualisation de son corps l'a mise en colère. Une colère saine vu qu'elle est à l'origine de ce miroir. Ce miroir qui lui sert non seulement à refléter l'image qu'elle a d'elle-même, de ce qu'elle pense être, mais qu'elle peut également retourner vers l'extérieur pour interpeler sur tel ou tel agissement? Et toi, tu t'es vu-e?

Dans ce premier projet en solo, d'une durée de 25 minutes, Plume explore différentes pistes de réponses à ses questionnements. Elle n'entend cependant pas y donner de réponses toutes faites, aux spectateurs-trices d'explorer les possibilités. Le format est court, car elle ne voyait pas l'utilité d'y ajouter indéfiniment des éléments, ni même de tout expliquer. Elle nous laisse une grande liberté de réception. Merveilleuse non, cette confiance qu'elle nous témoigne? 

LE MIROIR est l'aboutissement d'une longue réflexion qui surprend par sa maturité. J'ai passé presque deux heures au téléphone avec Plume, son enthousiasme, ses saines colères, son feu intérieur. Ne vous méprenez pas, son prénom duveteux et léger, qui selon elle lui autorise une douce folie, cache en fait une jeune femme dont la force et l'enracinement promettent de sublimes floraisons. 

Ce projet, lauréat d'une des bourses des "Théâtres solidaires", portées par L'Echandole, le Théâtre Benno Besson et la commission culturelle de la ville d'Yverdon, est à découvrir les 12, 13 et 14 août dans le cadre du festival Le Castrum à Yverdon-les-Bains. 

Le spectacle est gratuit, mais il faut réserver sa place: c'est par ici. 

Stéphanie Tschopp


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