CLÔTURE DE L'AMOUR - Joséphine de Weck, Patric Reves

C'est bien connu, les sentiments amoureux vont et viennent. Ils font plus de bruit en partant qu'en débarquant. Arrive le point de non-retour. Une explication s'impose. Une explication qui tourne à la confrontation. 

Crédit: Pierre-Yves Massot

Stan prend la parole en premier. Il veut quitter ce "nous" qui ne lui convient plus. Ne plus voir ces seins, ces attaches de poignets, ces pieds qu'il ne désire plus. "C'est le genre de truc qui ne se repousse pas. On ne peut pas continuer à toujours". S'engage un monologue cruel. Il détruit un à un les rêves d'avenir qu'ils avaient échafaudés. Un à un. Les remet en question. Ils n'ont jamais existés, ou alors que dans son esprit à elle, Audrey. Il se repasse le fil de leur passion, de la première nuit à ce dégoût d'elle qui s'est installé avec le temps. Les mots sont des uppercuts. Rapides. Foudroyants. Précis. Il frappe, encore et encore. Assène avec virulence tous les poncifs qui signifient la fin de leur amour. Audrey se tait. Ecoute. Se tord. Souffre. Le défie parfois du regard. "Tu as fini? Tu as tout dit et c'est bien, j'ai tout entendu. Tout.

Audrey déconstruit à son tour tous les arguments de Stan. Elle lui retourne le miroir. La douleur laisse place à la colère. Nous sommes au théâtre, il y en a un qui expose un fait et l'autre qui lui répond :"Je ne suis pas d'accord!". Les mots d'Audrey sont tout aussi brutaux que ceux de Stan. Ils sortent de sa bouche, de tout son corps, comme des balles de pistolets... pire, comme des grenades, avec juste le petit temps d'attente avant qu'ils n'explosent. C'est violent. C'est intime aussi. Les peaux, le sperme, les premières fois... Tous deux, à tour de rôle, s'obstinent dans des monologues où ils posent les questions et donnent les réponses dans la même phrase. Ils réécrivent leurs souvenirs, en enjolivent certains, en ridiculisent d'autres, et marchent, mots après mots, sur le cadavre de leur amour. L'écriture est meurtrière. La parole soulage le mal-être comme le vomissement soulage la nausée. Un point de vue féminin et un masculin. Les armes sont identiques, le verbe, mais la façon de l'utiliser diffère. Deux regards. Deux bouches. Deux paroles. Un seul amour, mort.

Donnée au milieu des œuvres qui constituent l'exposition RUPTURE au Musée d'art et d'histoire de Fribourg, Clôture de l'Amour trouve un écho sur les murs, le sol. Cette réverbération donne encore plus de puissance de tir aux mots assassins, nous trouble profondément par la résonance qu'elle a en nous et nous laisse à bout de souffle. La mise en scène de Yann Hermenjat est sobre. Place au texte. Joséphine de Weck et Patric Reves sont bouleversants, perturbants, ignobles par moment, mais toujours tellement justes dans l'émotion. Même silencieux, ils occupent la scène avec puissance. 

Le moment douloureux de la rupture, celui qui nous laisse confus.es, tristes, en colère, apeuré.es... un mélange de sentiments dont on ne sait que faire. Alors on balance tout, dans le désordre... et le désordre dans un musée, et bien croyez-le ou non, ça prend du sens. L'amour comme musée. Tout est bien à sa place. Le couple. Les projets. Les futurs enfants. Leurs futurs prénoms. Tout est bien rangé dans la bibliothèque des rêves, époussetée à fréquence régulière. Puis le désamour vient tout dynamiter. Les liens explosent. Ces corps qui s'attiraient comme des aimants amants se provoquent jusqu'à épuisement, assèchement des cœurs. 

Ce texte impressionnant, car oui, on se le ramasse bien dans la figure, est encore à (re)découvrir jusqu'au dimanche 19 septembre 2021 dans la grande salle du Musée d'art et d'histoire de Fribourg. Jetez également un œil à la superbe exposition, que je n'ai vu que rapidement ce soir, et qui se termine également dimanche. Toutes les infos, ici

Stéphanie Tschopp


Texte: Pascal Rambert
Mise en scène: Yann Hermenjat
Interprétation: Joséphine de Weck et Patric Reves
Costumes: Marie Romanens


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