LETTRES A NOS AÎNÉS - Geneviève Pasquier, Théâtre des Osses

 Le 13 mars 2020, la sentence tombait: semi-confinement. Les théâtres fermaient une première fois, les commerces non-essentiels, les cafés, les restaurants, les bibliothèques, les coiffeurs leur emboîtaient le pas.  Nous allions télétravailler pour une durée indéterminée, sans mise en plis et avec une moustache qui traînerait dorénavant dans le café et la soupe. Surtout, nous n'allions plus voir les gens que nous aimons profondément: nos vieux. Certes, on faisait leurs courses, on y ajoutait un petit quelque chose de plus, comme une surprise. Mais on restait à distance. On les aime trop nos vieux pour leur créer des ennuis. On découvrait un sentiment que la frénésie de nos quotidiens, nos agendas surchargés, les excuses par milliers avaient caché sous le tapis, comme la poussière : la solitude. Essentiellement, le manque de tendresse. Plus de caresses. Plus de baisers. Plus de peaux. Ce qui parfois était déjà absent de nos quotidiens, mais qu'on savait à portée de doigts dès que l'on en ressentait le besoin, nous était désormais interdit. On a cherché des alternatives, Garder le contact à tout prix: téléconférence, apéroskype... certains parmi nous ont même cuisiné des plats à distance avec leurs amis napolitains. J'en étais. Comme vous, j'étais en manque. Comme beaucoup parmi vous, j'ai utilisé les mots comme jamais. Les mots... ils sont tellement magiques! Certains font mal, d'autres rassurent, parfois, ce sont les mêmes, tout dépend de la façon dont ils sont employés. 

© Julien James Auzan

Du 25 mars au 29 mai 2020, "La Liberté", associée à d'autres médias romands, a publié 52 lettres. Beaucoup d'émotions transpiraient de ces missives intergénérationnelles, des sourires aussi, voire de francs éclats de rire. Certaines lettres émanaient de lecteurs-trices qui ont trouvé là un moyen d'exprimer la frustration, l'incertitude, la colère, la solitude et le manque que ce moment historique faisaient naître en eux, en elles. D'autres, des personnalités romandes, ont sans doute été appelées pour en rédiger... c'est de bonne guerre. On aime savoir que connu.es ou non, nous étions toutes et tous dans le même bateau. 

Lorsque le 29 mai 2020, Serge Gumy, rédacteur en chef de "La Liberté" annonçait la dernière Lettre à nos aînés, il ouvrait une boîte à suggestions pour faire vivre ces textes et les mettre en lumière sur un plus long terme. C'est alors que Geneviève Pasquier a pris contact avec lui. 

En résulte le spectacle de ce soir. Une distribution multigénérationnelle, à l'image des auteur-trices des lettres choisies. Comme pour souligner l'aspect surréaliste, inhabituel, de la situation que nous vivions alors, Geneviève Pasquier a bousculé quelques codes: le public est sur le plateau, les comédiennes et comédiens, dans les rangées de fauteuils. Chacun et chacune a son petit territoire, son petit salon. Il y a même un grand balcon d'où on applaudissait le personnel soignant... souvenez-vous. Les lettres sont égrenées les unes après les autres, entrecoupées d'une sublime musique de Mathieu Kyriakidis qui décidément à le don de faire de tout un chacun un-e musicien-nne. Les textes sont magnifiques. Leurs lectures émouvantes et tendres. La mise en scène soignée et inventive. Poétique. On les écoute attentivement, presque avec recueillement, comme on écoutait les histoires d'antan que nos grands-parents nous servaient lors des repas de famille. C'est très beau. Peut-être un peu trop parfait? Un peu trop lisse?

© Julien James Auzan

Vous allez me dire: "Mais tu perds la tête, ma fille! C'est beau et tu t'en plains?". Je ne m'en plains pas. Je regrette cependant, mais cela ne prétérite en aucune manière la tendresse de ce moment vécu aux Osses, que si peu de textes de Monsieur et Madame Tout-le-monde aient été sélectionnés. Je m'explique. La plupart des textes sont des textes de personnalités romandes rompues à l'usage des mots et aux effets de manches. Des écrivains, des femmes de lettres, des journalistes, une ancienne directrice d'Amnesty International, même un footeux qui lit San Antonio et cite Baudelaire! Ces courriers sont si soignés, si ripolinés, ils n'en sont pas moins sincères et honnêtes, mais ils manquent un peu de fragilités, d'erreurs de syntaxe, de trop-pleins d'émotions, d'embouteillages de mots aux bouts des doigts... il leur manque une certaine maladresse qui aurait rendu cette heure et vingt minutes encore plus humaine qu'elle ne l'a été. J'aurais adoré que soit pris le risque de proposer des lettres moins parfaites, comme j'en ai lues quelques-unes, mais qui auraient, à mon sens, reflété de manière plus juste, la confusion, l'incertitude de cette période qu'aucun-e de nous n'oubliera jamais. Un peu d'aspérités, pour mieux s'y accrocher. 

Une magnifique rétrospective de cette étrange période à voir au Théâtre des Osses, Centre dramatique fribourgeois, jusqu'au 12 septembre 2021. Toutes les infos, ici.


Stéphanie Tschopp


Auteur : d’après les lettres publiées par le journal "La Liberté"

Mise en scène : Geneviève Pasquier

Avec : Fabienne Barras, Roger Jendly, Geneviève Pasquier, Aurélie Rayroud, Nicolas Rossier, Nicolas Roussi, Anne-Marie Yerly. Musicien : Mathieu Kyriakidis

  • Assistanat : Selvi Pürro
  • Scénographie : Fanny Courvoisier
  • Lumière : Eloi Gianini
  • Musique : Mathieu Kyriakidis


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