_JEANNE_DARK_ - Marion Siéfert et Helena de Laurens

 La rencontre entre le public et l'équipe artistique - Marion Siéfert et Helena de Laurens - était pour le moins crispée à l'issue de la performance de ce soir. Il faut dire que tout dans la performance n'est pas très facile à recevoir.  C'est brutal, cru, mais, pour ma part, je l'estime nécessaire.



Photo: Mathieu Bareyre

L'adolescence, étape des plus délicates. Ajoutez à cela une pression sociale phénoménale, une dictature du paraître, le corps qui change, qui découvre de nouvelles envies, de nouveaux désirs, les attractions, l'amour qui commence à picoter le bas ventre, la sexualité... Comment bien faire? Quand bien faire? Saupoudrez le tout avec un peu - beaucoup - de catholicisme et la jungle des réseaux sociaux... comment vous dire que vous n'avez pas très envie de rire. Si toutefois un rire s'échappe, sans doute est-il le signe d'un profond malaise qu'il faut désamorcer. 

Jeanne a 16 ans. Elle se fait harceler par ses camarades à propos de sa virginité. Les réseaux sociaux étant, pour certain.es, l'équivalent 2.0 du journal intime, un soir où elle se retrouve seule, son téléphone à bout de bras, elle décide de prendre la parole. De l'exploration de son corps, jusqu'à l'intimité de ses fesses, de ses lèvres, de sa poitrine, Jeanne s'analyse. Le nez, les poils, la bouche... Face à tout ce que nous renvoient les réseaux, comment ne pas céder, dans la fragilité de l'adolescence, à cette auto-analyse comparative dangereuse? La jeune femme culpabilise même d'être "trop coincée". Révolte. Cris entre la mère et la fille, le tout, en direct sur Instagram! Quoi de plus puissant qu'utiliser un des canaux responsables du mal-être de cette femme en devenir, en pleine construction? C'est brillant. C'est tragique. C'est glaçant. C'est indispensable.

Photo: Mathieu Bareyre

Helena de Laurens danse cette Jeanne, incarne cette Jeanne, hurle cette Jeanne, avec une force animale et la fragilité qui est celle que l'on peut avoir à 16 ans. J'en eu des frissons. Parfois même les larmes aux yeux. J'ai été ado il y a 30 ans... pour rien au monde je ne souhaiterais revivre cette période de ma vie dans l'environnement actuel. Et pour le dire très simplement, j'ai eu très mal au cœur pour cette Jeanne. Il m'est bien clair que Jeanne n'est pas représentative de l'intégralité des ados d'aujourd'hui, que c'est un cas spécifique, qu'elle est Jeanne, avec son histoire, son quotidien, mais à travers ce personnage, plusieurs déviances d'aujourd'hui sont mises en lumière: l'éducation, l'accès aux réseaux de plus en plus en jeune, la féminité, la sexualité, le harcèlement scolaire qui aujourd'hui prend des formes encore plus perfides que lorsque j'étais ado, notamment par la rapidité et la facilité avec laquelle des images peuvent être travesties et balancées un peu partout. Alors oui, on termine cette performance un peu sous le choc, un peu crispé.e aussi. Peut-être parce qu'en utilisant ses plateformes, nous sommes un peu complices non seulement de leur succès, mais également du jeu malsain qui peut s'installer lorsqu'elles sont utilisées à mauvais escient. 

Cette performance bouleversante, jouée en direct, en chair et en os depuis le Théâtre de Vidy, est également accessible simultanément sur le live Instagram. Les commentaires des personnes qui se connectent, certaines apparemment sans vraiment savoir où elles arrivent, sont pour certains très perturbants, et participent à cette démonstration édifiante du "tout et n'importe quoi" associée à cette frénésie de consommation malsaine, notamment quand la performance devient un peu plus suggestive... Quand je vous disais que c'était puissant!

Vous pouvez acquérir des billets pour voir cette performance sur scène, ici, ou alors vous connecter sur Instagram via le compte @_jeanne_dark_ encore vendredi 29 octobre à 20h ou samedi 30 octobre à 17h.

Stéphanie Tschopp


Conception, écriture et mise en scène: Marion Siéfert

Collaboration artistique, chorégraphie et performance: Helena de Laurens

Collaboration artistique: Mathieu Bareyre

Scénographie: Nadia Lauro

Vidéo: Antoine Briot


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