LE LAC DES CYGNES - Ballet Preljocaj

J'aime quand Angelin Preljocaj nous raconte des histoires. Pas encore totalement remise de son vibrant WINTERREISE  que voici déjà LE LAC DES CYGNES, version Preljocaj. Version cygnes aux pieds nus. 

©JCCarbonne

Je ne suis pas totalement certaine de trouver les mots justes ce soir. Sans doute seront-ils un peu maladroits, un peu fébriles. Le Lac des Cygnes, vous savez, est au ballet un peu ce que le '68 Comeback Special d'Elvis est au rock. C'est LE ballet de TOUS les ballets. Non seulement la musique de Tchaïkovsky est la plupart du temps sublime - même si par moments il se prend un tout petit peu pour le roi du bal des pompiers, le Piotr Ilitch - mais l'argument est un conte qui navigue entre réalité et fantastique, entre amours et illusions, entre magie blanche et sortilèges. Les histoires comme on les aime, non? Des petits condensés de vie remplis de métaphores. 

Et c'est là qu'arrive Preljocaj et qu'il dynamite le conte! Il l'ancre tellement dans la réalité, dans notre "aujourd'hui" que cela nous prend pendant quelques secondes à rebrousse-poil, avant de nous tourner complètement les sens. 

©JCCarbonne

Siegfried devient un jeune homme qui se révolte contre son père, apparemment puissant magnat d'une quelconque industrie, Rothbart tient plus du loubard cruel que du sorcier, Odette est une jeune femme de l'ère #metoo - quelle beauté dans le premier tableau qui nous explique le sort que lui a jeté Rothbart, en transformant sa robe blanche et plumes de cygne - et Odile, la tentation sombre. La campagne devient ville aux gratte-ciels, cité industrielle. Le Lac, constitué dans l'histoire originelle des larmes des parents d'Odette, tente de survivre au milieu des usines. S'il fallait encore une fois le prouver, les contes traversent les époques, sans perdre de leur force. 

Angelin Preljocaj respecte l'argument mais le twiste tout de même un peu, notamment en y insérant des passages de nuits endiablées au son de la musique électro. Cela va sans doute vous perturber de brèves secondes, mais vous verrez très rapidement à quel point tout cela est d'une cohérence folle.  Contrairement à ce que nous avons l'habitude de voir du Lac des Cygnes, souvent quand même une version relativement éthérée, toute en tutus, en pas de deux, en ensembles "bien alignés" et en danse de caractère, la version des ballets Preljocaj est profondément terrienne, humaine, sans pour autant faire l'impasse sur le côté fantastique. Vous ne serez pas complètement dépaysé.es, car les tutus sont bel et bien présents - et d'une beauté renversante, préparez vos yeux! - les tableaux blancs et noirs s'enchaînent, même le silence s'y fraie un chemin... et c'est bouleversant lorsque le silence ne fait pas peur. 

©JCCarbonne

C'est une version sombre, quasi apocalyptique qui est proposée, l'image d'une terre en souffrance, de cygnes agonisants sous la pollution industrielle. Nous? Nous sommes ces cygnes aux pieds nus qui tentons de survivre dans les eaux poisseuses. Rappelez-vous, dans l'argument originel, le lac est constitué des larmes des parents d'Odette qui pleurent le sortilège jeté à leur fille. Ici, ce sont nos larmes mélangées à nos détritus, à nos envies de "toujours plus" qui rendent les eaux effrayantes et mortelles. 

Quel dépoussiérage! De la banalisation du sexe, représentée dans des danses langoureuses toutes ondulantes du bassin, au triste constat que notre Terre s'en va à vau-l'eau, c'est un LAC DES CYGNES électrisant, foudroyant! Est-ce qu'on en ressort indemne? Pas totalement. Je tremble encore un peu, et quelques frissons parcourent ma colonne vertébrale. Choisir le LAC DES CYGNES, dont les principales mélodies hantent nos têtes de longues heures, pour faire passer ce puissant message écologiste permet de ne pas nous faire oublier. Foncez voir ce ballet, vous ne l'oublierez jamais, et renouez avec le vivant, en pleine conscience. 

Il reste encore une représentation, demain jeudi 7 octobre, et je crois qu'il reste quelques places. Toutes les infos, ici. 

Stéphanie Tschopp


chorégraphie Angelin Preljocaj
musique Piotr Ilitch Tchaïkovski
musique additionnelle 79D
vidéo Boris Labbé
lumière Éric Soyer
costumes Igor Chapurin
assistanat à la direction artistique Youri Aharon Van den Bosch
assistanat répétition Cécile Médour
choréologie Dany Lévêque
danse Théa Martin Odette - OdileLaurent Le Gall SiegfriedAgathe Peluso Mère de SiegfriedSimon Ripert Père de SiegfriedAntoine Dubois Rothbart, Lucile Boulay, Celian Bruni, Elliot Bussinet, Araceli Caro, Zoé Charpentier, Li Chi-Shu, Leonardo Cremaschi, Mirea Delogu, Lucia Deville, Jack Gibbs, Mar Gómez Ballester, Naïse Hagneré, Verity Jacobsen, Beatrice La Fata, Víctor Martínez Cáliz, Florine Pegat-Toquet, Emma Perez Sequeda, Mireia Reyes Valenciano, Khevyn Sigismondi, Micol Taiana, Anna Tatarova
production Ballet Preljocaj
coproduction Chaillot  Théâtre national de la Danse, Biennale de la danse de Lyon 2021 / Maison de la Danse, La Comédie de Clermont-Ferrand, Festspielhaus St. Pölten (Autriche), Les Théâtres  Grand Théâtre de Provence, Théâtres de Compiègne


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