LE MAÎTRE ET MARGUERITE - Igor Mendjisky

Ivan est interné. Il appelle l’infirmière, sujet à une nouvelle crise de délire. Il nous prend à témoin. Sommes-nous réel.les ou sommes-nous juste le fruit de son imagination?  Le gros chat qui parle et qui paie son ticket de métro, il l’a bien vu, pourtant. Il n’est pas fou. Le grand consultant, spécialiste de magie noire, qui a prédit la mort par décapitation de son ami Berlioz, existe aussi. Il n’est pas fou. Il nous raconte, tout. Ça commence par cette discussion avec Berlioz, sur l’existence de Dieu. Puis cet homme, Woland, un brin charmeur et provocateur, qui se mêle à leur conversation. Si Dieu n’existe pas, qu’en est-il du Diable? Woland l’élégant était là quand Ponce Pilate a jugé Jésus. Woland sème le doute dans l’esprit des deux amis. L’un va perdre la tête, l’autre la raison.

 

©Victor Drapeau

Le voisin de chambrée d’Ivan, le personnage qui « figure dans le titre mais qui n’est pas Marguerite », s’introduit chez Ivan. Il lui raconte qu’il est l’écrivain d’un livre qui n’a jamais été publié, car il en a déchiré les pages, une à une. Un livre sur Ponce Pilate... toi, oui toi, tu me lis et tu te dis: « Tiens, Ponce Pilate, encore lui! »... Il lui raconte aussi son amour fou pour Marguerite, la façon dont ils se sont rencontrés, l’immédiateté de leur passion. Marguerite qui, si amoureuse de son « Maître » ira jusqu’à signer un pacte avec le Diable et servira d’objet sexuel aux plus ignobles individus qu’a connu l’Histoire avec un grand H.

Bon... voilà... résumer les quelques 700 pages du roman de Boulgakov en quelques lignes, vite fait, bien fait (?), n'est pas chose aisée. Mendjisky l'a fait en moins de deux heures. Oui. En moins de deux heures! Il n'en a pas perdu une once de l'esprit, ni de l'histoire, tout en le projetant dans l'époque qui est la nôtre. J'en ai encore le cerveau en ébullition! 

©Victor Drapeau


Proposé dans une mise en scène trifrontale, où une partie du public est sur le plateau, où les personnages se confondent avec le lieu et les  « invité.es », LE MAÎTRE ET MARGUERITE nous fait perdre toute notion de temps et d'espace. Les trois récits sont ici entremêlés, nous entraînant encore plus dans la confusion: qu'est-ce qui est réel et qu'est-ce qui est du domaine de la représentation? Cette confusion est excitante et nous met en permanence en équilibre entre le Bien et le Mal. Mendjisky joue avec nos petites faiblesses, notre avidité, nous tend d'une certaine façon un miroir sur ce qui fait la complexité de l'humain. On rit, jaune. On frémit, car oui, le Diable est en ville ne l'oubliez pas. Séducteur et élégant, il nous manipule comme il veut. Jusqu'où sommes-nous capables de nous perdre? Serions-nous, comme Faust, capables de signer avec le Diable pour arriver à nos fins?

Tous les travers de notre époque sont représentés, de la TV réalité à notre fascination pour l'argent facile. Tout est conflit moral. Ce qui faisait frémir l'intelligentzia moscovite des années trente fait tout autant frémir les quelques 450 personnes qui étaient dans la salle. Et oui, l'histoire se répète, encore et encore... Même si la bande-son de ce presque film, de Lou Reed aux Rolling Stones nous ferait presque oublier l'horreur du propos et le nombre conséquent de morts que le très séduisant Woland laisse sur son passage. Tout est question de choix. Nous devons les faire, en toute indépendance. Vaste programme.

C'est brillant, exaltant, foisonnant, complètement fou! Que celui ou celle qui n'a pas un tant soit peu perdu la raison lève la main! Et gageons que si vous avez un chat à la maison, vous ne le regarderez plus du même œil.



Vous pouvez encore voir cette merveille ce soir, vendredi à Nuithonie. Signez avec le Diable, cela en vaut la peine, du moins pour une soirée... après, vous êtes libres de prolonger ou non le contrat, en toute connaissance de cause. 

Stéphanie Tschopp


Texte Mikhaïl Boulgakov
adaptation, mise en scène Igor Mendjisky
interprétation Marc Arnaud en alternance avec Adrien Melin, Gabriel Dufay, Adrien Gamba Gontard en alternance avec Pierre Hiessler, Igor Mendjisky, Pauline Murris en alternance avec Rosa-Victoire Boutterin, Alexandre Soulié, Esther Van Den Driessche, Yuriy Zavalnyouk
assistanat mise en scène Arthur Guillot
traduction grec ancien Déborah Bucchi
traduction hébreu Zohar Wexler
lumière Stéphane Deschamps
costumes May Katrem, Sandrine Gimenez
création son, vidéo Yannick Donet
scénographie Claire Massard, Igor Mendjisky

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