GRÂCE À DIEU - Cie Marin

 "La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits". C'est cette phrase, pour le moins maladroite, prononcée par le Cardinal Barbarin en 2016 lors d'une conférence de presse qui a donné le titre d'abord au film de François Ozon sorti en 2019, puis à son adaptation à la scène. 

Copyright: Mercedes Riedy

La pédophilie chez les prêtres catholiques, c'est le sujet brûlant de ce texte. C'est un document. Succession de témoignages, confrontations victime-bourreau, procédures, médiations, enquêtes... L'affaire Bernard Preynat, prêtre lyonnais qui a abusé de dizaine d'enfants, notamment lors de camps de scouts qu'il avait mis sur pieds, a mis en lumière de manière assez brutale, l'omerta qui règne dans le milieu ecclésiastique. Le prêtre n'a jamais renié les faits dont on l'accusait. Régulièrement mis de côté durant des laps de temps restreints, il est néanmoins toujours revenu à travailler au contact d'enfants. 

Je ne vous cache que j'avais vu le film de François Ozon. La préhension de ces témoignages sur scène est toute différente. S'ils touchent profondément, sans soulever de stupeur -sauf pour celles et ceux qui sont toujours dans le déni- la mise en scène de François Marin empêche les émotions de prendre le dessus. Les tableaux changent tellement rapidement, les rôles s'interchangent, les climats et les lieux se modifient d'un claquement de doigt, ou plutôt d'un son de cloche, que nous ne recevons que les émotions primaires: le dégoût, le choc, la colère, la révolte. Ces changements brusques les empêchent de se développer et de prendre le dessus sur la réflexion que cela provoque. C'est un peu comme si on nous demandait de garder la tête froide et de ne pas juste "casser du curé". Cela met surtout en lumière cette capacité endémique à taire l'indicible. Une parole scellée depuis des générations qui se libère enfin, au sein de différents milieux, qu'ils soient culturels, sportifs, politiques ou familiaux.

Copyright: Mercedes Riedy

Le discours du milieu ecclésiastique, comme il apparaît dans la pièce, est troublant. "Nous vous entendons", "Nous sommes prêts à vous entendre, mais le bourreau souffre également"... gloups... Il est assez difficile d'avaler ces paroles, croyez-moi. Ce cynisme glaçant, à coup de "je prierai pour vous", le rejet de l'utilisation du mot "pédophile", étymologiquement "qui aime les enfants", au profit du néologisme "pédosexuel"  sont d'une violence inouïe. 

Véritable théâtre documentaire "à la Milo Rau" - ce qui, sous mes doigts, est un énorme compliment -  qui retrace le parcours de ces victimes en quête de reconnaissance de leurs souffrances et surtout dans leur combat pour prévenir de nouveaux abus, cette adaptation est brillante. Crue et chirurgicale, la mise en scène de François Marin se veut très factuelle, et la poésie n'a pas sa place lorsque l'intimité de jeunes enfants est violentée. Si les faits, pour certains, sont juridiquement prescrits, les souffrances ne sont, elles, pas soumises à prescription. 

Les comédiennes et comédiens qui, à 5, incarnent 32 rôles, sont affolants de justesse et de pudeur. Ils instaurent une distance non seulement avec le texte, mais également avec le public. Est-ce un façon de se/nous préserver? Peut-être... cependant, cela rend le tout encore plus percutant. Des témoignages tellement détaillés, que les images qui se créent dans nos esprits sont insoutenables. Un théâtre choc.

A voir au Théâtre des Osses à Givisiez jusqu'au 12 décembre. Toutes les infos, ici. 


Stéphanie Tschopp



Auteur : François Ozon

Mise en scène : François Marin

Avec : Christian Cordonier, Fred Lugon, Sabrina Martin, Yann Pugin et Sylviane Tille

  • Scénographie : Elissa Bier
  • Lumière : William Lambert
  • Création sonore : Gautier Teuscher
  • Costumes : Scilla Ilardo
  • Maquillages : Séverine Irondelle
  • Régie lumière : Estelle Becker


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