LATERNA MAGICA - Dorian Rossel

 "Parmi tous les souvenirs, ceux de l'enfance sont les pires, ceux de l'enfance nous déchirent...". Ces paroles d'une chanson de Barbara pourraient bien coller à l'enfance d'Ingmar Bergman. L'enfance, ce pays lointain où résident bien souvent les origines de nos névroses d'adulte. Bergman a vécu une enfance dure, marquée par la pensée luthérienne, la rigueur et la culpabilité. Dans LATERNA MAGICA, son autobiographie au cynisme assumé, il va y refaire un tour. Ces souvenirs, réels ou imaginés, lesquels ont forgé les obsessions de l'homme de théâtre et de cinéma, sont livrés dans le désordre, comme si la mémoire n'était pas construite de façon linéaire. C'est un labyrinthe où on se perd toutes et tous. Ingmar Bergman en a fait un lieu d'introspection, de réflexion, un lieu d'auto-psychanalyse profonde. 

Crédit: Yohan Jacquier

Dorian Rossel a longtemps rejeté Bergman, car son père l'érigeait en exemple absolu. C'est en plongeant dans cette autobiographie qui navigue entre rêve et réalité, mensonges et réalité, où la vie professionnelle et la vie intime sont traitées sur le même plan, que "la statue du Commandeur a été déboulonnée par Bergman lui-même", selon les propres dires de Dorian Rossel. Bergman, finalement était un homme comme les autres, mettant en lumière avec ses propres mots, toute la complexité de l'être humain, toutes les ambiguïtés et les contradictions qui nous construisent et nous déconstruisent toutes et tous. C'est en mentant que le jeune Ingmar s'émancipera de la cellule familiale où souffle le vent glacial de la culpabilité, où les faux-semblants sont érigés en art de vivre et où les châtiments corporels étaient ritualisés. Avec sa grand-mère, il découvrira le cinéma et par-là même une passion précoce qui l'obsèdera, jusqu'à proposer un échange à son frère lors d'un Noël : sa collection de soldats de plomb contre le cinématographe dont l'aîné avec été gratifié. Homme de théâtre avant d'être homme de cinéma, Bergman laisse une vision du monde qui ne cesse de rayonner, parfois à l'image d'un soleil, parfois plutôt dans la mélancolie et le mystère de la lune. 

Fabien Coquil, qui incarne un Bergman sans âge qui mêle le badinage enfantin et la séduction d'un homme obsédé par le désir et une sexualité effrénée, propose une vision du suédois très particulière. Son phrasé, monocorde, sa déclamation des phrases qui ne semble jamais trouver de fin, laisse flotter une forêt de points de suspension dense et vertigineuse. Aucune affirmation, encore moins d'interrogation, juste un flottement qui nous plonge dans une profonde réflexion et qui nous confronte aux fantômes qui peuplent nos propres souvenirs. C'est d'une intensité intérieure folle! Cet espace de liberté et de non-jugement qui nous est offert provoque immanquablement des émotions étonnantes et contrastées, allant du rire au désespoir, du désir à la douleur intime. Comment ne pas avoir envie de (re)plonger dans l'œuvre du cinéaste?

Crédit: Carole Parodi

Cette mise en scène d'un monologue intérieur, ponctuée de quelques apparitions spectrales - ici la mère, là l'amante, ou encore de ce côté-ci, le technicien dirigé avec une précision et une impatience quasi dictatoriales - millimétrée mais autorisant suffisamment d'espaces que seuls nos cerveaux, nos cœurs et nos tripes peuvent combler, cette impression permanente de noir blanc qui cependant reflète tout de même de la chaleur, ou encore ces incessants jeux d'ombres qui rappellent l'évasion mentale du jeune Ingmar lorsqu'il était enfermé dans la penderie en guise de punition ou alors qui représentent un Bergman beaucoup plus grand qu'il ne l'était enfant face à la morale paternelle, tout cela nous transporte dans une dimension où parfois nous avons peur de nous perdre: notre intériorité. C'est simple et complexe à la fois, c'est épuré et riche, rassurant et angoissant, excitant et calmant. Humain. Finalement, le théâtre est peut-être le meilleur endroit pour parler d'Ingmar Bergman. Un lieu où les mensonges ne servent qu'à une seule chose: traduire la réalité et la rendre supportable.

Stéphanie Tschopp




mise en scène Delphine Lanza, Dorian Rossel

interprétation Fabien Coquil, Delphine Lanza, Ilya Levin

lumière Julien Brun

musique Yohan Jacquier

régie son Thierry Simonot

costumes Eléonore Cassaigneau

technique Matthieu Baumann

assisté de Clément Fressonnet

administration Johanne Pigelet

direction Cie STT Daphné Bengoa

production Cie STT (Super Trop Top)






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