LES FEMMES (TROP) SAVANTES? - Brigitte Rosset, Christian Scheidt et Olivier Gabus
Des parenthèses et un point d’interrogation…
ces deux signes de ponctuation suffisent à twister le titre de la pièce originelle
de Molière et à lui donner, peut-être, son sens premier. Alors attention, ne
sautez pas pieds joints dans la fausse idée que Jean-Baptiste Poquelin était misogyne…que
nenni ! Molière s’en fichait des genres et s’attelait plus à critiquer des
comportements, des attitudes. A l’inverse des vanités statiques qui s’accrochaient
aux murs au milieu du XVIIe siècle, Molière, lui, les matérialise sur les
planches, dans la Vie.
crédit photo: STEMUTZ |
C’était soirée de première, hier
soir, au théâtre Boulimie à Lausanne. En face de nous, sur scène, un gigantesque
cabinet de curiosités dans lequel on a envie de se plonger, pour assouvir
toutes nos envies d’ailleurs et d’objets étranges. Nous voilà déjà attrapé-es
par Descartes… je pense donc je suis… je veux savoir pour ne pas non-exister et
être laissé-e sur le carreau. Mais Molière, petit coquinou, s’il vivait aujourd’hui,
serait sur YouTube, et animerait sans doute une chaîne de développement personnel
ayant pour sujet « J’apprends pour être ». Savoir est une chose,
utiliser son savoir pour pavaner dans les soirées et mépriser toute une frange
de la population, en est une autre. Molière prône l’utilisation intelligente du
savoir, celle qui remplit plus que ne rend vaniteux-se.
LES FEMMES (TROP) SAVANTES ?, c’est la question que nous pose le joyeux trio Rosset, Scheidt, Gabus. On dirait le nom d’un ensemble de jazz ? Oui, un peu… Sous de faux airs baroques, c’est plutôt une folie jazzy toute en apparentes improvisations qui s’empare de notre trio. Cela demande une virtuosité certaine dont ne sont pas dénués Brigitte Rosset, Christian Scheidt et Olivier Gabus.
On avait laissé Brigitte et Christian dans une auberge italienne il n’y a pas si longtemps de ça, on avait encore des « r » roulants qui habitaient nos oreilles que voilà déjà les alexandrins de JB qui nous troublent les esprits. Parce que oui, ne nous mentons pas, les alexandrins, ça ne coule pas de source. Nos oreilles d’enfants du XXe siècle ne sont pas tant habituées à ce genre de déclamations, même si, comme Christian, on a peut-être un jour, cédé aux sirènes d’un stage de théâtre baroque-chorizo ! Et voilà que débarque Olivier Gabus… En faisant sonner une machine à écrire comme un clavecin, en faisant résonner des bananes ou encore en « en-sacant » - incarner en portant un sac Ikea, oui, ceci est un néologisme, je fais ce que je veux ! – une Martine à l’accent jurassien, il est un peu la caution absurde de l’exercice.
crédit photo: STEMUTZ |
Mêlant ballet de perruques et de crinolines improbables, déclamations
métronomiques d’alexandrins, s’autorisant de délicieux apartés, se questionnant
sur les paradoxes du langage de la pièce, le trio déroule et démonte les poncifs
sur le genre, le mariage, la séduction, la drague, les rapports homme-femme, l’élitisme…
c’est savoureux, intellectuellement jubilatoire et un véritable entraînement
pour nos zygomatiques et nos abdos. Un merci tout particulier à Robert Sandoz
et à Julia Portier pour leur mise en scène qui fait tellement confiance à nos
imaginaires ! Quel bonheur d’ouvrir les portes et les fenêtres, d’abattre
les murs et de laisser les courants d’air frais et stimulants circuler dans nos
esprits. À l’issu de la représentation, à l’image de Philaminte qui pamoise
devant Trissotin et ses sonnets, nous flottons dans un état post-orgasmique qui
mêle plaisir, satisfaction et volupté, avec une irrépressible envie d’y
retourner.
En conclusion, je ne peux que vous
conseiller de vous laisser voiturer vers les commodités du plaisir et du rire… il
fallait bien que dans les dernières lignes de ce billet, je fasse un tant soit
peu ma « précieuse »… ridicule !
Stéphanie Tschopp
A voir au théâtre Boulimie à Lausanne
jusqu’au 13 novembre 2021. Infos et réservations, ici.
Puis au théâtre du Crève-Cœur à Cologny,
du 16 novembre au 12 décembre. Infos et réservations, ici.
Mise en scène : Robert Sandoz
Co-mise en scène : Julia Portier
Texte et adaptation : Molière, Rosset, Sandoz, Scheidt
Jeu : Olivier
Gabus, Brigitte Rosset, Christian Scheidt
Musique : Olivier Gabus
Création lumière : Thierry Van Osselt
Costumes : Anne-Laure Futin
Accessoires et scénographie : Cédric Mathey
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