PERPLEXE - Georges Grbic , Cie Champs d'action

Imaginez: vous partez en vacances, vous confiez le chat et vos plantes vertes à des amis. Jusque-là, rien de très extraordinaire. À votre retour, Maurice a disparu, les meubles ont changé de place, les plantes se sont multipliées et un étrange paquet trône au milieu du salon. L'orage menace, l'électricité est coupée - petit souci de rappel impayé - et dans un éclair, vos amis apparaissent. Alors, c'était bien les vacances? 

Cette apparition, digne d'une série B - oui, l'assassin apparaît toujours dans un éclair, un soir de pluie -  annonce la mort de tout ce que l'on croyait acquis jusqu'ici, de nos perceptions à nos certitudes. Tout à partir de ce moment-là est remis en question. De l'affirmation de soi à nos rapports avec la liberté et le pouvoir, quelle est notre véritable marge de manœuvre? Sommes-nous vraiment aussi libres que nous le croyons? Et ce quatrième mur qui apparaît très rapidement au début de la pièce sème encore plus le trouble. Voilà nos quatre protagonistes enfermés comme dans une boîte... ça ne vous rappelle rien? C'est le retour du chat, pas Maurice, lui a définitivement disparu, mais celui de Schrödinger... sont-ils vivants? Sont-ils morts? Et bon sang, qu'y a-t-il dans ce paquet?

crédit: Sylvain Chabloz

Marius von Mayenburg va beaucoup plus loin que juste l'évocation du théâtre, ses genres, ses décors, ses accessoires, les rôles qu'on attribue à telle ou telle personne, par affinité ou par conviction, il interroge sur notre propre personne. Sommes-nous qui nous avons envie d'être, affranchi-e-s de tout conditionnement? Suis-je réellement Stéphanie, ou bien suis-je la Stéphanie à qui on a donné une fonction, un rôle, attribué  des émotions, des actions, des intentions? 

Si la vie n'était qu'un grand vaudeville? Cuisine au fond, à jardin, porte d'entrée à cour... tromperies,  amants et maîtresses qui disparaissent derrière le canapé, travestissement, changement de genre, portes qui claquent, entrées et sorties tonitruantes... autant vous dire que dans le cerveau de la femme que je suis, avec une certaine propension à penser en arborescence, c'était un joli désordre... 

J'ai été absolument fascinée. Si certains personnages dans l'histoire du théâtre sont en quête d'auteur, ici les personnages n'ont jamais ni l'opportunité ni le temps d'être en quête d'eux-mêmes. Il n'y a même pas la fameuse  règle des trois unités qui nous/leur permettrait de comprendre l'intrigue. À ce propos, y en-a-t-il réellement une?  Le décor se déconstruit au fur et à mesure, la pièce se retourne sur elle-même, dans un éternel recommencement... C'était bien les vacances?

crédit: Sylvain Chabloz

Ce qui m'a le plus perturbée, c'est cette très grande difficulté à s'attacher à tel ou tel personnage. Par le fait qu'ils sont tellement protéiformes, le lien n'a matériellement pas le temps de se créer. C'est assez troublant et en même temps, il y a quelque chose d'assez jouissif à, pour une fois, ne pas s'investir et juste laisser couler... 

Marie Fontannaz, Valérie Liengme, Ludovic Payet, Paulo dos Santos, sont tous les quatre absolument épatant-e-s, habité-e-s par une espèce de fausse désinvolture totalement désarmante et désopilante. Quant à la mise en scène de Georges Grbic - oui, car contrairement à ce que veulent nous faire croire les quatre cité-e-s plus haut il y a bel et bien un metteur en scène - elle est plutôt (dé)culottée et piquante, voire incisive et même cruelle quant à la capacité de l'être humain à "laisser couler"...

Les fêtes de fin d'année approchent, avec elles une ribambelle d'invitations. Parmi elles, peut-être qu'il y en a une qui s'est glissée pour une soirée costumée sur le thème "Soirée nordique"... un conseil, réfléchissez à votre costume et tâchez d'éviter le "brillant d'ambiguïté". 

En attendant vous pouvez encore savourer ce bijou d'absurdité les 1, 2 et 3 décembre au théâtre du Crochetan à Monthey. Toutes les infos, ici.


Séphanie Tschopp


Texte : Marius von Mayenburg
Traduction : Hélène Mauler & René Zahnd
Mise en scène : Georges Grbic
Assistante à la mise en scène : Diana Fontannaz
Chorégraphie : Jasmine Morand
Interprétation : Marie Fontannaz, Valérie Liengme, Ludovic Payet, Paulo dos Santos
Dramaturgie : Magali Tosato
Musique : Daniel Perrin
Lumières : Nicolas Mayoraz
Son : Mathias Demoulin
Régie : Jean-Pierre Potvliege
Scénographie : Sylvie Kleiber
Collaborateur à la scénographie : Vincent Deblüe
Costumes : Karine Dubois
Production : 
Cie Champs d’action
Co-production :
 Maison de Quartier de Chailly, Théâtre Benno Besson – Yverdon-les-Bains











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