QUI A PEUR DE VIRGINIA WOOLF ? - Le Magnifique Théâtre

 Avoir une bonne grosse gueule de bois, sans avoir bu une goutte d'alcool? Oui, c'est possible. Je suis groggy, assommée, vampirisée... Sur tout le trajet du retour je me suis demandée pourquoi je m'imposais parfois de telles choses? Pourquoi est-ce que j'allais volontairement me mettre dans la gueule du loup, avec la certitude que j'allais être malmenée? La réponses est simple: la passion. La passion n'a rien de rationnel. Elle est. Elle consume autant qu'elle embellit le quotidien. Franchement, je savais que j'allais assister à une des plus grandes séances de torture psychologique, une des plus cruelles, qui ait été écrite, et j'y allais presque en sifflotant... en réalité, je chantonnais... oui, j'avoue... j'avais les voix d'Elizabeth Taylor et Richard Burton qui tournaient en boucle dans ma tête... "Who's afraid of Virginia Woolf?"... LE couple terrible. Mariés deux fois, séparés trois. Il m'a fallu quelques minutes pour réaliser que le noir blanc n'était plus, et que j'allais me confronter à cette réalité,  en couleurs... bye bye l'illusion! 

crédit photo: Guillaume Perret

Martha et Georges, couple d'américains de la classe moyenne supérieure, rentrent d'une soirée bien arrosée. Il est tard, largement passé minuit. Une première dispute éclate entre eux. Ce n'est que l'amuse-bouche... le plat principal est déjà sur le feu et mijote calmement. Mais c'est plus sympa de cuisiner pour plusieurs, non? Alors Martha informe Georges qu'ils vont avoir de la visite. Au milieu de la nuit. Au milieu de leurs ivresses. Un jeune couple. Un nouveau collègue de Georges et son épouse. Un professeur de biologie qui travaille dans la même université où Georges n'est que professeur associé en histoire. La nuit va être longue et sans pitié. Le couple a décidé de s'infliger le coup de grâce, avec témoins. Est-ce une mise en garde? Est-ce une volonté de détruire ce jeune couple qui selon eux à vraisemblablement plus de chance de réussir là où tous les deux ont échoué?

Ce couple qui, à force d'accumuler les échecs et les déceptions, s'est construit, s'est entretenu sur une montagne de mensonges, survivra-t-il? L'échec se dévoile dans la plus grande des intimités, celle du couple. L'échec suprême, la désillusion, l'utérus vide.

C'est d'une violence inouïe, quasi insoutenable. On rit, parfois, mais je crois que cela tient plus du principe qui veut, selon Henri Bergson, que le rire est une anesthésie momentanée du cœur où les émotions sont mises de côté. Une certaine forme d'inconfort qu'il faut désamorcer. Un miroir tendu sur nos travers. N'a-t-on jamais menti, ne serait-ce que par omission? Pour dissimuler ou taire un échec dont nous sommes peu fier-ères? N'a-t-on jamais blessé quelqu'un, même involontairement, en appuyant sur une faiblesse ou tout simplement par lâcheté? La différence entre des esprits normalement constitués et ceux de Martha et Georges, qui oscillent entre névrose et folie, est que nous, nous le faisons involontairement, inconsciemment. Dans le cas de Martha et Georges, chaque mot est pesé et utilisé à dessein : la mise à mort de l'autre. Toutes les armes sont autorisées, de l'insulte à la colère, de la torture au sexe. 

Dans l'ultime scène, alors que la dernière illusion est morte, mais que son corps est encore chaud et pas encore touché par la rigidité cadavérique, quand ne reste que la réalité dans ce qu'elle a de plus cru, de plus creux, de plus indécent, la tendresse ressurgit. Les mains se frôlent... qu'est devenu l'amour? Comment peut-il (sur)vivre quand il est nu et livré à lui-même, sans artifices? Vous avez deux heures, la durée de la pièce, pour y réfléchir. 

Menée par un quatuor de comédiennes et de comédiens exceptionnel, portée par une mise en scène de  gladiateurs et gladiatrices lancé-es dans l'arène - celles et ceux qui vont mourir te saluent, toi, Amour - la pièce d'Edward Albee est une profonde réflexion sur la distinction entre la réalité et l'illusion. Et si les mensonges n'étaient que la partie visible, dicible, de nos fantasmes inavouables, de nos espoirs irréalisés? 

C'est un très grand moment de théâtre, comme il en existe rarement. Un moment qu'il faut vivre pleinement et ressentir dans sa chair, frontalement, sans œillères.


Stéphanie Tschopp

A voir à Nuithonie jusqu'au 14 novembre. Infos et réservations, ici.


mise en scène Julien Schmutz

traduction Daniel Loayza

interprétation Nathalie Cuenet, Yves Jenny, Laurie Comtesse, Pierre-Antoine Dubey

scénographie Valère Girardin

lumière, régie générale Gaël Chapuis

création musique François Gendre

costumes Éléonore Cassaigneau

maquillages Emmanuelle Olivet-Pellegrin






Commentaires

  1. Quelle magnifique critique, j'ai très hâte d'y aller.
    Vous avez une jolie plume.
    Meilleures salutations

    Sophie

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