MADONE - Cie STT

 Tout part d'un tableau: La Madone sixtine de Raphaël. Un tableau dont la majorité d'entre nous ne connaît qu'une infime partie, à savoir les deux petits chérubins à l'air rêveur qui semblent attendre quelque chose, s'ennuyer, préparer une espièglerie ou qui, si l'on considère l'entier du tableau, sont attendris par la bonté et la douceur qui enveloppent la Madone. La profonde athée que je suis va laisser Dieu de côté. D'ailleurs, ce n'est pas le propos, à mon sens du moins. 

crédit: Carole Parodi

Ce tableau a voyagé jusqu'aux confins de l'Europe. De Piacenza à Moscou, en passant par Dresde. Combien de regards se sont posés sur elle? Combien d'interprétations a-t-elle vu naître? Combien d'émotions a-t-elle engendrées? 

Enfermés dans une boîte en liège sombre, dont on ne sait si elle représente un bunker, une ruine, un souterrain ou de façon très métaphorique nos esprits, sept personnages tentent tant bien que mal de vivre ensemble, de rire, de s'aimer même. Ne cherchez pas d'histoire au sens propre du mot, il n'y en a pas. Vous êtes libres de la (dé)construire. Usez, abusez de cette liberté. À l'instar de ce qu'évoque un des personnages, laissez-vous envahir par la force poétique que ce texte déploie en vous, que ce soit sous forme de questionnement ou d'apaisement. Accueillez  vos émotions et voyagez, à l'image de ce tableau qui a traversé l'Europe. 

crédit: Carole Parodi

Sous-titrée "la force subversive de la bonté", MADONE esquisse une des nombreuses définitions de la bonté. Une sorte de base de travail à la réflexion personnelle. MADONE va beaucoup plus loin que juste l'évocation de la bonté ou de la bienveillance. Ces deux termes, utilisés aujourd'hui un peu à toutes les sauces - tout est bienveillant, du management à l'alimentation - ont peut-être perdu un peu de leur véritable sens. La bonté, souvent assimilée à une certaine forme de gentillesse suspecte qui peut générer de la crainte, est en quête de réhabilitation, n'en déplaise aux cyniques. 

Revenons à cet étrange cube de liège... Au départ, il nous semble mort, coulé dans du béton brut. Les lumières et les caresses lui donnent vie. Soudain, il crisse, se fendille, parle. Au fur et à mesure que les personnages distillent leurs petites et grandes expériences de vie, citent auteurs, musiques et obsessions géographiques, mettent leurs corps en mouvement(s), faillent, trébuchent, se relèvent, se déchirent et s'aiment, le mur cède. L'eau et l'air jaillissent. La première sous forme réelle et tangible, le second sous une forme surprenante et déconcertante. Derrière le mur, la lumière et l'évocation d'un jardin. Ces différentes humanités ont été lavées à la machine, pas bouillies, mais nettoyées en cycle "délicat", pour ne pas en abimer les fibres et pour revenir à leur état originel. Cet état pur, dénué d'angoisses, de tortures internes - et c'est là que la boîte peut nous faire penser à nos esprits - et  tourné vers l'Autre dans le respect et le non-jugement. 

crédit: Carole Parodi

Sans dogmatisme aucun, Dorian Rossel et Delphine Lanza nous proposent une lecture sous forme de petits haïkus, de ce que pourrait être notre humanité si elle s'attelait un peu plus à utiliser la force délicate et insaisissable de la bonté. Cette force que l'on tend à mépriser, à considérer comme faiblesse, renferme peut-être les outils pour renverser le chaos du monde et lui redonner la sérénité à laquelle nous aspirons toutes et tous. C'est peut-être dans cette forme rare d'élégance que réside notre apaisement. 

Pendant une heure et trente minutes, je me suis sentie portée, légère, tenue par la main, aimée, enveloppée, caressée. La chose est tellement rare lorsqu'elle est donnée sans attente de contrepartie, qu'elle en devient plus précieuse encore. MADONE est un bijou de délicatesse et d'introspection. Il serait très égoïste de ma part de ne pas vous le partager et de vouloir le conserver dans son écrin, à l'abri des regards envieux que pourrait susciter un tel diamant.

MADONE sera jouée le 11 décembre au Théâtre du Crochetan à Monthey. Infos, ici.  Pour les futures autres dates, se référer au site de la compagnie.

Stéphanie Tschopp


Mise en scène : Delphine Lanza & Dorian Rossel
Interprétation : 
Antonio Buil / Erik Gerken (en alternance), Alenka Chenuz, Fabien Coquil, Giulia Crescenzi, Mimi Jeong, Delphine Lanza, Roberto Molo
Soutien dramaturgique : Carine Corajoud, Karelle Ménine et Karim Kadjar
Scénographie & lumières : Julien Brun
Stagiaire scénographie & lumières : Maude Bovey
Musique originale : David Scrufari
Costumes : Amandine Rutschmann


 

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