HIVER À SOKCHO - Franck Semelet, Elisa Shua Dusapin

Sokcho, station balnéaire de Corée du Sud, à quelques kilomètres de la frontière entre les deux Corées. Une station qui est remplie de gens à la haute saison, mais qui hors-saison se dépeuple, laissant ses habitant-es seul-es avec leurs joies, leurs tristesses, leurs contradictions, leurs espoirs et leurs histoires. 

Hiver à Sokcho, c'est l'histoire d'une rencontre. Une de ces rencontres qui a la capacité de remettre en question toutes les certitudes, de modifier tous les chemins que l'on a mis des années à baliser et qui sont censés nous porter vers la réalisation de nos rêves. Une de ces rencontres qui nous donne des nouvelles de nous-mêmes. Que l'on soit prêt-e, ou non.

crédit: Yann Becker

C'est la rencontre de deux pudeurs, de deux âmes en quête d'identité, chacune enfermée dans une vie qui n'a plus vraiment de goût. L'une travaille dans une pension, fait la cuisine, pour se financer ses études, tiraillée entre une mère maîtresse-chanteuse - "que serais-je sans toi, pars le rejoindre" - , une tante et un fiancé en quête de notoriété. L'autre, baroudeur solitaire, dessinateur de BD, en quête de nouveaux horizons pour donner corps au prochain volume des aventures d'un héro dont la vie se confond avec la sienne. Ces deux âmes vont se rencontrer, se frôler, s'apprivoiser. Si la rencontre est fugace, la trace en restera indélébile et leurs destins s'en trouveront changés à jamais. Du moins, c'est ce que la fin ouverte laisse supposer. 

De la réception d'une vieille pension à ses cuisines, de ses temples à ses plages entourées de barbelés - ses plages-prisonnières sont de sublimes métaphores des émotions que vivent les deux protagonistes, entre horizon dégagé et captivité du désir - Hiver à Sokcho distille une atmosphère particulière. Le fugu, poisson dont une seule goutte du poison situé dans son foie peut tuer, est situé au cœur du récit, discret. En déguster, c'est toujours prendre un risque, mais aussi témoigner d'une confiance absolue dans le-la cuisinier-ère. En fait, le fugu, c'est comme le désir: un délicieux poison qui, s'il ne nous tue pas, déclenche une sensation de liberté absolue, de sensualité, un petit goût de reviens-y auquel aucun de nous ne saurait résister, même si la petite peur habite nos ventres. 

crédit: Yann Becker

Frank Semelet signe là sa première mise en scène. Accompagné sur scène par l'éblouissante Isabelle Caillat, dont la présence à la fois éthérée et quasi punk - vous en dire plus dévoilerait une scène totalement inattendue - est un ravissement de chaque seconde, et par le dessinateur Pitch Comment, dont les traits habillent non seulement l'espace, mais également les silences des protagonistes - s'exprimer en phylactères rendrait la vie parfois tellement plus facile - Frank Semelet nous donne envie d'aller explorer une partie de nos intimités qui parfois, par manque de courage, reste dans l'ombre, tapie et muette. Comme le personnage d'Isabelle Caillat qui petit à petit s'émancipe des femmes qui l'ont construite, osons sortir de nos phylactères et cessons de taire nos désirs profonds, au risque de les voir se fondre avec l'horizon, sans espoir de les retoucher du bout des doigts. Réveillons le fugu qui dort en nous!

Stéphanie Tschopp


Plusieurs dates encore en Suisse romande: au Casino Théâtre de Rolle, au CCDP de Porrentruy, au Théâtre de Beausobre, au TPR à la Chaux-de-Fond et au Centre culturel de Moutier.


adaptation Elisa Shua Dusapin, Frank Semelet
mise en scène Frank Semelet
interprétation Isabelle Caillat, Pitch Comment, Frank Semelet
assistanat mise en scène et chorégraphie Katy Hernan
maquillage Viviane Lima Chollet
scénographie, création lumière, photos Yann Becker
vidéo Loïc Pipoz
musique originale, création son, séquence animée Guillaume Lachat
régie générale Théo Serez
régie son Victor Colelough
œil extérieur Antonio Troilo
costumes Scilla Ilardo



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