ARIA - Prototype Status

Sur le chemin du retour, je me suis amusée à dresser le champs lexical du mot "air". Entre Yverdon et Fribourg, j'ai inscrit une septantaine de vocables. Certains, je vous le concède, étaient un peu tirés par les cheveux, mais ils sont apparus alors que je laissais mon imagination vagabonder sans lui fixer de limites. Ils sont donc tous "légitimes".

crédit: Céline Michel

Vent, oxygène, souffle, ventilation, ventilateur, vitesse, éther, vide, bulle, bouffée, ballon, etc... L'air est partout autour de nous et nous ne le voyons pas. L'air a besoin d'une résistance pour devenir visible. Et pourtant, ce n'est toujours pas lui que nous voyons, mais le corps, ou l'élément, qui lui tient tête. Que ce soit un brin d'herbe ou un coureur automobile lancé sur un circuit, tout n'est que résistance. Même si vous vous abandonnez délicieusement au souffle d'une brise printanière, tout ce qui vous constitue entrera en résistance, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Vous croyez vous détendre, en fait, vous êtes sous tension.

Dans ARIA, c'est le corps de Fabio Bergamaschi qui se frotte à cet élément. Sublimé par des lumières époustouflantes, le corps se dessine, se sculpte, alors que le mouvement, lui, se décompose. On retrouve le paradoxe mentionné plus haut. Au souffle furtif des ventilateurs qui bordent le plateau s'opposent une lenteur et une tension qui nous transcendent. La sueur perle sur le corps du danseur lorsqu'après de nombreuses minutes, il atteint le bord de scène. L'effort pour rester dans la course s'évapore de la chair et la soif de vitesse se fait sentir. Rester dans la course. Aller chercher la victoire, quoi que cela nous en coûte: en efforts, en douleurs, en risques. Jusqu'à jouer à cache-cache avec la mort. 

On ne peut pas ignorer la référence au sport automobile. Un casque noir trône en bord de scène, comme un graal. Fabio Bergamaschi n'a de cesse de le toucher, de le poser sur son corps, de se mettre en équilibre dessus. Ce corps de danseur mature, beau parce qu'on peut y lire une histoire, n'a de cesse d'outrepasser ses propres limites physiologiques, mais également les frontières de la physique. En champion auto-proclamé, rien ne lui résiste, ni l'horizontalité, ni la verticalité, encore moins l'air. 

crédit: Céline Michel

Alors que les ventilateurs s'emballent, avec détermination et un brin de provocation, le corps s'en approche et tente de les repousser. L'illusion affronte la réalité, et simultanément le corps meurtri et le casque couvert d'or franchissent la ligne d'arrivée. La victoire a un prix, celui de l'oubli de soi, de l'abandon à la griserie du "toujours plus vite". Par peur de ne pas sortir vainqueur de cette course effrénée que nous impose la société dans laquelle nous vivons, de la vitesse, naît l'accident. Des rêves d'enfant qui dirigent une petite voiture électrique jusqu'aux fissures qui se dessinent sur le casque doré après que l'illusion se soit écaillée, le corps reste seul, recroquevillé sur lui-même, se chantant une berceuse qui autrefois l'apaisait. 

Porté par la musique hypnotisante de Dragos Tara, ce solo nous laisse hors d'haleine, le cœur battant dans nos tempes. Je n'ai pas encore percé le mystère du travail de Jasmine Morand, lequel a un impact considérable sur moi et auquel mon corps réagit toujours de façon incontrôlée et surprenante. Ai-je vraiment envie de trouver une réponse? Je ne crois pas, mais je vous invite à vous frotter à cet élément fascinant qu'est l'air et à laisser vos pensées tourbillonner dans les mille interstices que Jasmine Morand et Fabio Bergamaschi nous offrent. 

Stéphanie Tschopp


A voir encore:

  • Equilibre - Nuithonie - Fribourg - Suisse 
  • Fête de la Danse Neuchâtel - Swiss Dance Awards on Tour
  • Fête de la Danse Lugano - Swiss Dance Awards on Tour

concept, chorégraphie Jasmine Morand
danse et collaboration chorégraphique Fabio Bergamaschi
scénographie Neda Loncarevic
musique Dragos Tara
création lumière Rainer Ludwig
création costume Toni Teixeira
technique Julien Perret
construction Frédéric Baudouin
administration Marianne Caplan
communication Artemisia Romano
assistanat à la production Virginie Pasquier
diffusion et production (FR) Florence Francisco et Gabrielle Baille, les productions de la Seine
production Prototype Status
coproductions et partenariats Oriental Vevey, Théâtre Benno Besson – Yverdon-les-Bains, Equilibre-Nuithonie – Fribourg, ADC Genève – Genève, Théâtre Paul Eluard (TPE) de Bezons, scène conventionnée d’intérêt national Art & Création – Danse
résidences Dansomètre – Espace de création et recherche chorégraphique, ADC Genève

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