CRÂNE - De Facto / Antoine Laubin

 Il existe des moments théâtraux dont on ne ressort pas tout à fait comme on est entré. CRÂNE est indéniablement un de ces moments. Profonde réflexion sur la vie et par conséquent sur la mort, l'une n'allant pas sans l'autre, nous incitant à nous (re)définir humainement, à reconsidérer la lente décrépitude de nos corps avec un regard plus distant et peut-être plus indulgent. 

Crédit: Beata Szparagowska

Alexander Nacht vit depuis plusieurs années avec une tumeur au cerveau. Son évolution est lente, mais inéluctable. Nous faisons sa connaissance la veille de son opération à crâne ouvert. Homme de lettres, de pensées et d'écriture, l'idée même qu'il puisse perdre une partie, voire l'intégralité de ses facultés l'incite à appréhender cet événement chirurgical avec un cynisme glacial qui ne trompe personne. Alexander Nacht a peur, mais hors de question de s'apitoyer sur son sort. 

Divisée en trois parties distinctes, cette adaptation scénique du roman de Patrick Declerck, dont c'est le vécu, nous invite dans l'univers pour le moins fascinant et angoissant de la chirurgie éveillée. Avant, pendant, après. Dans une langue précise, non dénuée d'humour, on nous conte les états d'âme d'Alexander Nacht, alter ego de Declerck, les sentiments qui se bousculent dans son esprit, la relative fin du monde pour un homme touché dans ce qui est le centre de sa vie: la pensée. 

Crédit: Beata Szparagowska

Trois narrateurs insufflent des couleurs différentes à chacune des étapes. Le premier, Jérôme Nayer, raconte la phase qui précède l'opération. Les examens médicaux, les PET-Scan, les marqueurs tumoraux,  mais suit également les méandres de la pensée de Nacht et ses questionnements. Le texte est dense, tourbillonnant, à l'image sans doute du flot d'interrogations et d'émotions qui doivent envahir un patient dans l'attente d'une telle intervention. Le second, le fougueux Hervé Piron, décrit avec un humour ravageur et une violence à peine masquée cet incroyable acte chirurgical qui requiert la participation de l'opéré sanglé. Quant à la troisième partie, lente récupération post-opératoire, retour à la vie, plus intimiste, Renaud van Camp lui prête sa douceur et sa personnalité lunaire. 

Mais Nacht, où se cache-t-il me demanderez-vous? Il est là. Omniprésent sous les traits d'un Philippe Jeusette puissant, la plupart du temps silencieux, sauf lorsqu'il s'agit de réciter Shakespeare dans le jus de son middle english. Il n'intervient qu'à de rares exceptions, toujours avec force et cynisme, par quelques éclats de voix, mouvement de pieds ou regards complices avec nous public ou les trois narrateurs. 

Crédit: Beata Szparagowska

Il n'y a pas de suspens insoutenable, l'auteur a survécu, cet exceptionnel texte en est la preuve vivante. CRÂNE sonne comme un hymne à la vie, constitué de petites et inutiles protestations, de sautes d'humeur et d'inévitables grossièretés quand l'esprit est poussé dans ces retranchements et que la peur prend temporairement le dessus. C'est aussi le lent et parfois complexe apprentissage de la mélancolie. Nous nous engouffrons au son des "Immortels" de Bashung dans l'âme de Nacht, lequel a remporté une première victoire, la tumeur continuant à le narguer même après l'opération. Cette farce tragique nous rappelle que nous sommes toutes et tous mortels et que viendra le jour où nous devrons affronter cette réalité. Pourquoi s'en soucier, nous n'en réchapperons pas, alors autant en rire, non?

Cet objet scénique absolument jubilatoire, profond et bouleversant est actuellement en tournée en Suisse romande. À voir encore le 22 mars au Spot à Sion et le 24 mars au théâtre NEBIA à Bienne. Ne passez pas à côté de ce joyau. 

Stéphanie Tschopp


Texte : Patrick Declerck
Adaptation et mise en scène : Antoine Laubin
Interprétation : Philippe Jeusette, Jérôme Nayer, Hervé Piron, Renaud Van Camp, Antoine Laubin, avec la participation de Patrick Declerck
Adaptation et dramaturgie : Thomas Depryck
Scénographie, construction : Stéphane Arcas
Construction : Claude Panier
Lumières : Laurence Halloy
Costumes : Alexandra Sebbag
Vidéo : Julien Helgueta
Assistanat à la mise en scène : Quentin Simon
Direction technique et régie : Gaspard Samyn
Régie générale : Patrick Pagnoulle
Production : Laurie-Anne Vanbléricq, Production De Facto, Rideau de Bruxelles, La Coop asbl



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