KATY HERNAN : l'obsession du corps

 
Katy Hernan, comédienne, danseuse, chorégraphe, dans l'ordre ou dans le désordre, va proposer son premier solo EN CORPS LÀ sur la scène du Foyer du Théâtre Benno Besson à Yverdon le 16 mars prochain, dans le cadre du Festival À vrai dire. Papotage entre femmes, un jeudi soir sur la Terre. 

crédit: Frank Semelet

Katy, qui considère la danse comme l'essence même de qui elle est, a mis du temps pour arriver à cette conclusion. Il lui aura fallu bien des années pour comprendre l'importance du mouvement, son indispensable nécessité. Elle a tout d'abord découvert le théâtre, au gymnase de Morges: "Un peu par hasard. Il y avait des semaines de camps, thématiques, qui étaient organisées. On avait la possibilité de choisir entre trois options. Deux camps, dont un de grimpe, avaient mes préférences, puis, j'ai mis "théâtre" en troisième option. Les camps loin de la maison ont été très demandés, avec beaucoup d'inscriptions, il n'y avait donc plus de place et j'ai été mise à la semaine théâtre. Je n'étais pas contente du tout (rires), je voulais faire de la grimpe! Je suis allée au rectorat et je me suis révoltée! Mais durant la semaine, j'ai tout de suite compris que c'était ça!".  

Katy a alors 17 ans, elle est en plein questionnement sur la suite que doit prendre sa formation. Uni? HEP? Elle ne sait pas trop. Cette semaine de théâtre au gymnase a répondu à toutes ses interrogations: elle allait devenir comédienne. "Quand on devait jouer des petites scènes, dans les cours d'allemand ou d'anglais, j'ai toujours adoré ça. Là, je touchais à un "hobby" où je me sentais douée et où les profs et les copains-copines me le disaient. C'est important à cet âge où on est timide vis-à-vis de ses émotions, de son apparence. On ne m'avait jamais dit des choses pareilles ailleurs, pour d'autres choses. Ce que j'aimais par-dessus tout, c'est que j'avais la possibilité d'être "plus que moi". Tout était permis. Les émotions pouvaient s'exprimer sans retenue, sans gêne, sans peur du jugement. Personne ne pouvait me reprocher de trop rire ou de trop pleurer. On pouvait tout exprimer, sans que cela soit trop!"

Une fois cette prise de conscience effective, il fallait l'annoncer à ses parents. "On te suit! Mais termine d'abord ton gymnase.", ce qu'elle fit. Elle s'est inscrite au Conservatoire de Lausanne, a suivi l'année pré-pro, puis une année de classe professionnelle. Elle y a découvert le monde de la danse et a réalisé à ce moment-là que le corps lui était important. Elle avait toujours fait des activités corporelles - moderne jazz, patinage artistique, gymnastique - mais pour la première fois elle réalisait que cela faisait intégralement partie d'elle. Grâce aux exercices avec les corps, elle a pris conscience que c'était là qu'était son chemin, pas dans le texte, pas dans les mots. Dans le corps. Katy a tout arrêté pour suivre son corps. 

Après avoir dégotté une bourse, travaillé dans des bars et pris des cours intensifs de danse, elle s'est formée durant deux ans à la SEAD de Salzburg. À 21 ans, celle qui avait grandi sur la Côte, quittait tout pour se réaliser. Au-delà de la formation technique dans l'esprit de Merce Cunningham, l'école donnait la possibilité de présenter des créations. "J'ai tout à coup eu envie de créer des trucs. Je faisais toujours des créations où je mêlais danse, théâtre et humour. J'ai eu envie de plus travailler le côté créatif et faire mes propres chorégraphies. Je me suis donc lancée dans le parcours d'admission à la SNDO, School of New Dance Development d'Amsterdam.". Des centaines de candidatures et seulement dix élu-e-s. Katy en fait partie. "C'était la révolution interne! Qu'est-ce que je fais? Cela dure quatre ans... comment les payer? C'était juste le rêve cette école, une université des arts à la FAME, sur plusieurs étages. J'y suis allée. J'ai utilisé ma dernière année de bourse pour financer la première année et ensuite je faisais des petits boulots à côté. Parfois, je me demande encore comment j'ai osé faire tout ça.".

En 2007, Katy et Chris Leuenberger créent ENTER MY BUBBLE et remportent le prix PREMIO, prix suisse d'encouragement aux arts de la scène. C'est une porte d'entrée pour un retour en Suisse. Katy revient et pendant plus d'un an parcourt le monde, de New York à Berlin en rayonnant depuis la Suisse. Elle loge soit chez ses parents, soit chez des ami-e-s. "C'est l'avantage avec la danse, il n'y a pas de difficultés ou de barrières de la langue. On peut danser partout. Cela dit, j'ai quand même eu envie de revenir en Suisse. Si ces expériences m'ont permis de me créer un réseau à l'international, mes ami-e-s de toujours me manquaient. Nos rires, nos apéros (rires).. et je me suis aussi rendue compte que mes parents prenaient de l'âge et que j'avais envie de les accompagner.".

Enter my Bubble - Hernan, Leuenberger, 2007

De retour au pays, il fallait maintenant se faire un réseau. Si du côté de la Suisse alémanique, la collaboration avec Chris Leuenberger lui ouvert des portes, du côté de la Suisse romande, tout restait à  faire. Lors d'une soirée, Katy a rencontré Adrien Rupp qui sortait tout juste de la Manufacture et qui était en plein questionnement. Il souhaitait travailler plus en direction et avec le corps. Katy à ce moment-là envisageait de se présenter aux Quarts d'Heure de Sévelin. "Je savais que participer aux Quarts d'Heure allait me permettre de connaître les danseurs et danseuses d'ici, que je ne connaissais pas du tout, vu que j'étais à l'étranger durant toute ma formation, mais je n'avais pas du tout envie de faire de solo à l'époque. Alors j'ai été cash avec Adrien. Je n'ai pas envie de faire de solo, tu recherches à aller vers le corps, faisons un truc ensemble. Ce que nous avons finalement fait.". Mélanger texte et théâtre, revenir aux mots pour celle qui n'avait plus reparlé sur scène depuis tant d'années et avait été blessée par des rêves de théâtre, il y avait comme une revanche à prendre. Deux envies qui se rencontrent et qui décident de se présenter au prix PREMIO en 2010. Prix qu'ils remportent avec "La Loi d'interaction des Points isolés...". Jusqu'en 2016, Adrien et Katy ont enchaîné les projets. 


C'est la période où Katy a commencé à se définir plus précisément. Jusqu'à maintenant, elle se laissait souvent prédéfinir par les autres et en fonction du rôle qu'elle occupait dans les projets du moment. Elle a mis du temps à affirmer cette pluridisciplinarité et elle se sentait parfois en division. Elle aime si profondément la scène qu'elle se définit aujourd'hui comme artiste de scène. Elle aime le texte et le corps, et leur façon de communiquer et d'interagir sur scène. L'un n'exclut pas l'autre. Tout est mouvement pour Katy. Elle a alors commencé à collaborer avec Barbara Schlittler avec qui elle a crée deux spectacles pour jeune public dont 1985...2045 qui fera partie de la sélection suisse en Avignon en 2017. 


1985...2045 / crédit: Philippe Pache

Après quelques années sans danser, mais à mêler mouvement et texte, Katy a commencé à ressentir un certain manque qu'elle mettait d'abord sur le compte de la nostalgie. Il y a un moment charnière, un moment cruel, celui où elle accompagnait sa fillette au 11ème étage du CHUV. Elle y a vu des enfants très malades, atteints de cancer, qui ne vivaient que dans le présent, dans le ici et maintenant. Elle en a été bouleversée. Tout lui semblait devenir urgent. Elle n'avait plus de mots pour exprimer ce qu'elle ressentait, elle devait donc danser ses ressentis. C'était une question de survie. Elle a alors commencé à enregistrer des petites capsules où elle dansait dans son salon et les a posté sur les réseaux sociaux. Elle redevenait créative dans l'espace limité de son salon. De l'histoire de sa fille, de sa propre histoire, Katy a tout d'abord pensé en faire un livre, avec sa poésie personnelle et qui pourrait servir de témoignage pour d'autres personnes... "Je me suis dit, un livre, ce n'est pas le bon moyen. Tu viens de la scène. Tout cela a germé pendant mon burn-out. Il y avait la santé de Tamara, mon burn-out, le parcours de la FIV... tous ces éléments impliquaient le corps. Ce sont plein de sujet tabou... qui aurait envie d'entendre ma vie? Puis j'ai rencontré Alexis Gfeller. Je comprenais sa musique. On ne parlait pas la même langue, mais juste celle d'à côté. Et si finalement de mon histoire personnelle, je pouvais atteindre des histoires universelles?". EN CORPS LÀ prenait forme...



Sublimer des histoires de vie par l'art devenait alors une nécessité pour Katy, au-delà de raconter sa propre histoire. Elle a ressenti le besoin de raconter toutes ses/ces souffrances en les transformant en acte poétique. Durant tout le processus créatif, elle a également pris conscience que cette démarche parlait aussi de sa posture de femme, de danseuse, de son corps transformé par la vie, par l'âge, par la maternité, les soucis et que malgré tout ça, nous avions toutes le droit de prendre notre place dans l'espace publique, que ce soit sur scène ou dans la vie. Qu'il y a des moments dans la vie où l'on tombe et que si tout va bien, on se relève. "Nous sommes des corps remplis d'histoires uniques et nous sommes terriblement mortels, même si nous voulons souvent l'oublier voire ne pas y croire.". Mais que tout le monde se rassure, on rit aussi beaucoup dans EN CORPS LÀ.

A voir au Théâtre Benno Besson à Yverdon le mercredi 16 mars 2022 à 20h, dans le cadre du Festival À vrai dire. C'est complet, mais "On rajoutera des coussins pour que tout le monde puisse entrer!".

Stéphanie Tschopp

Katy en 5 dates:


1997:                           Entrée au Conservatoire de Lausanne
2001:                           Départ à Salzbourg
28 mars 2009:            Rencontre avec Frank Semelet, son mari
23 décembre 2013:    Test de grossesse positif! La FIV a pris!
11 septembre 2014:    Naissance de Tamara



Commentaires

Articles les plus consultés