LE CONTE DES CONTES - Teatro Malandro / Omar Porras

 Le conte des contes. Le conte ultime. Le conte pour solde de tout conte. Quel postulat!

C'est une plongée au cœur de l'humanité que nous propose le Teatro Malandro sous la baguette d'Omar Porras, magicien de la scène, lapin compris! Raconter des histoires, c'est toujours s'autoriser à mentir, à transformer, à transfigurer la réalité. De tous temps, l'humanité s'est servie des contes pour affronter ses réalités à travers le rêve et l'imagination. La version de Porras ne fait pas exception. 

crédit: Mario del Curto

Il était une fois, il était deux fois, il était trois fois... cette thérapie révolutionnaire par le conte, mise sur pied par le Docteur Basilio - éblouissant et troublant Philippe Gouin - aussi médecin que je suis meneuse de revue, doit servir à sortir de la léthargie. Il met cette thérapie en œuvre au sein d'une famille dont le fils aîné, en pleine adolescence, souffre de mélancolie. Chaque membre de la famille est très rapidement identifiable par le public, non seulement parce qu'ils sont présentés individuellement par Basilio, qui agit un peu comme le coryphée de la tragédie grecque, mais surtout parce que certains éléments de leurs costumes leurs donnent immédiatement une posture. Le père par exemple, poilu au possible, jusqu'au bout des mains, évoque à la façon d'un loup-garou le côté ambivalent de la figure paternelle qui bien souvent dans les contes est une personnalité aux desseins ambigus et dangereux. La mère -sulfureuse Jeanne Pasquier- m'a fait penser à Delphine Seyrig dans Les Lèvres rouges de Harry Kümel, séductrice et vampirique. Je pourrais continuer comme cela longtemps, tant les images et les références se sont bousculées dans mon esprit avec bonheur. 

crédit: Mario del Curto

Les contes sont évoqués, pour certains de manière plus longue et dense et d'autres par clins d'œil, par petites touches pointillistes. Explorés en profondeur, réinterprétés, voire adaptés à aujourd'hui, ils constituent un mille-feuilles à la crème pâtissière généreuse dans laquelle on replonge notre fourchette avec gourmandise et envie. 

Dans le monde féérique et cruel des contes, tout est possible et on dirait que cet univers est fait pour la scène, tant les possibilités sont infinies. Quel incroyable matériau pour celui qui n'a jamais mis de limites à son imagination. Le langage du corps est exalté, accompagnant de façon prodigieuse et si reconnaissable les mots. La musique, comme au cinéma, sublime les ambiances et les ressentis, générant ici de l'effroi, ici de la réflexion, ou encore là du désir. Les double sens sont légion et flirtent régulièrement avec les limites du politiquement correct, pas dans l'optique de choquer pour choquer, mais plutôt dans l'envie de créer des mini chocs qui activent des leviers de compréhension, qui évitent à nos esprits de juste avaler passivement ces "petites leçons de vie", ces "manuels d'éducation à notre humanité" que sont les contes. 

crédit: Mario del Curto

Le baroque si subversif de Porras,  par moment presque punk et parfois très sombre dans cette production, non seulement m'enthousiasme à chaque fois, me fascine, mais me distille aussi une dose de joie indescriptible. Ce mélange de grandiloquence, de sanguinolant, de burlesque, de cabaret, d'érotisme, saupoudré de paillettes et de plumes, faisant de chacun de nous des oiseaux de paradis aux plumages colorés et bigarrés, est d'une jouissance jubilatoire à répétition. 

Jamais il n'a été si urgent de faire fonctionner nos imaginations, de s'autoriser à rêver, pas pour échapper à la réalité, mais pour y trouver les ressorts, les ressources, les outils pour l'affronter avec lucidité et calme, humour et recul, sans avoir peur de plonger dans les différentes strates de la réalité.



À voir jusqu'au 19 mars au TKM- Théâtre Kléber-Méleau. Toutes les infos, ici

Stéphanie Tschopp


Conception et mise en scène :
Omar Porras (Teatro Malandro)
Adaptation et traduction :
Marco Sabbatini et Omar Porras
Assistante à la mise en scène :
Capucine Maillard
Scénographie :
Amélie Kiritzé-Topor
Composition, arrangements
et direction musicale :
Christophe Fossemalle
Costumes :
Bruno Fatalot
Assistante costumes :
Domitile Guinchard
Accessoires et effets spéciaux :
Laurent Boulanger
Maquillages et perruques :
Véronique Soulier-Nguyen
Assistante maquillages et perruques :
Léa Arraez
Régie générale :
Gabriel Sklenar
Régie son :
Benjamin Tixhon
Régie lumière :
Denis Waldvogel
Couture et habillage :
Julie Raonison
Avec :
Simon Bonvin
Jonathan Diggelmann
Philippe Gouin
Marie-Evane Schallenberger
Jeanne Pasquier
Cyril Romoli
Audrey Saad

Création sonore :
Emmanuel Nappey
Co-création lumière :
Benoit Fenayon
Marc-Etienne Despland
Couture et habillage :
Karine Dubois

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