PLACE - Tamara Al Saadi
Parfois il m’arrive de me dire que je ne devrais pas lire des pièces de théâtre contemporain avant de les voir sur scène. C’est un peu le cas avec PLACE de Tamara al Saadi.
La lecture de la pièce m’avait bouleversée
et profondément interrogée sur la dualité qui peut habiter une jeune femme qui
n’a aucun souvenir du lieu où elle est née et qui doit, au quotidien, cohabiter
avec les deux identités qui la constituent : celle transmise par ses parents,
sa famille, et celle qu’elle-même s’est construite au contact du nouvel
environnement dans lequel elle a grandi. Le dilemme est quotidien et permanent.
Grandir, devenir, se chercher, éventuellement se trouver…
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Crédit: Christophe Raynaud de Lage |
La confusion qui habite la jeune
Yasmine, 19 ans, est non seulement palpable, mais admirablement représentée par
le dédoublement de son personnage. Incarnée par deux magnifiques comédiennes, Mayya
Sanbar et Marie Tirmont, Yasmine est tiraillée continuellement entre ses
origines irakiennes et la culture française qu’elle a découverte toute seule,
par ses propres moyens. Répétitions du verbe avoir, acquisition d’une nouvelle
langue et oublier la langue maternelle ? Dans quelle langue lire, écrire,
rêver ? Les langues se mélangent sur scène et dans l’esprit de Yasmine.
Coincée entre sa famille « sous embargo » comme elle dit et des
camarades aux soucis bien plus superficiels que les siens, Yasmine cherche sa
place, cherche les codes pour se faire comprendre, s’intégrer, exister.
De sa plus tendre enfance aux
découvertes de l’amour, en passant par les chemins sinueux de la naturalisation,
nous suivons Yasmine, rions de ses jeux d’enfants, sommes ému-es de ses efforts
d’intégration, parfois douloureux. Elle ne se sent jamais au bon endroit, de la
bonne façon, et cherche constamment une légitimité dans le regard des autres. Moment
de grâce, lorsque les deux Yasmine, entonnent a capella des vers d’Aragon, à
deux voix, légèrement décalées : il n’y a pas d’amour heureux.
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Crédit: Baptiste Muzard |
La scénographie m’a saisie. Le
sable, omniprésent, symbolisant les origines qui, même si on souhaite s’en
défaire, reste dans nos cheveux, dans nos habits, même dans nos bouches, évoquant
avec une poésie déchirante les bombardements de Bagdad. Ce sable, qui, s’il s’immisce
dans une âme a priori fonctionnelle, peut la gripper et l’empêcher de se
réaliser correctement. Ce petit grain de sable… Puis, ces chaises dispersées
sur le plateau, tantôt couchées, tantôt retournées, matérialisant le chaos qui
règne dans l’esprit tiraillé entre deux cultures de la jeune femme et une
nouvelle fois les zones sinistrées post-bombardements… Plus Yasmine accepte la
cohabitation des deux cultures qui vivent en elle, plus les chaises s’alignent.
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Crédit: Baptiste Muzard |
Si la caricature est un peu
forcée parfois, principalement dans la scène qui confronte Yasmine à ses
camarades, étrangement je ne l’avais pas du tout perçue aussi caricaturale à la
lecture, il est un message beaucoup plus fort et plus subtil qui se distille
en filigrane: la famille, toujours présente, même immobile et silencieuse dans les
moments-clés de la vie de la jeune femme, les nouvelles de Bagdad en fond sonore
presque en continu, représentent toutes les pressions, parfois sourdes, et les
forces vives que l’on peut porter en soi au travers de la présence ou de l’absence
de tout ce qui symbolise notre affectif. C’est en aimant et en s’aimant
elle-même, en arrêtant de détester « Bagdad », qu’elle considère
comme une maladie incurable, que Yasmine va explorer une piste qui pourrait
bien la conduire vers une certaine forme de paix et d’équilibre. Son identité
est multiple, et c’est là sa grande valeur et son unicité.
Stéphanie Tschopp
texte Tamara Al Saadi
mise en scène Tamara Al Saadi
collaboration artistique Justine Bachelet, Kristina Chaumont
interprétation Mayya Sanbar, Marie Tirmont, Françoise Thuries, Azize Kabouche, Yasmine Nadifi, Ismael Tifouche Nieto, David Chausse et un enfant
lumière Nicolas Marie
son Fabio Meschini
scénographie Alix Boillot
costumes Petronille Salome
chorégraphie Sonia Al Khadir
conception technique Jennifer Montesantos
administration de production Elsa Brès
diffusion Séverine André Liebaut
production Cie La Base
coproduction Comédie de Saint-Etienne Centre Dramatique National, ECAM – Espace Culturel André Malraux
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